J’ai testé pour vous… l’hypersensibilité

J'ai testé pour vous... être hypersensible

Je ne vois pas du tout pourquoi tu te mets dans cet état-là pour si peu. 

Ça, c’est la phrase que l’hypersensible a des chances d’entendre un nombre incalculable de fois au cours de sa vie.

Et c’est vrai que voir quelqu’un fondre en larmes parce qu’il n’y a plus de moutarde, qu’il pleut le premier jour de ses vacances, que le fleuriste n’a pas de renoncules ou que quelqu’un lui a fait une remarque désagréable (ou, encore plus troublant, nous a fait une remarque gentille) a de quoi rendre perplexe voire impatienter.

Les autres sont déçus, agacés, l’hypersensible est dévasté. Parce que voilà, comme disait Flaubert : je suis doué d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire.

J’ai mis longtemps à comprendre que je n’étais pas zinzin, ni dépressive, qu’on était un certain nombre à être comme ça (15 à 25% de la population), que ce n’était pas une maladie (même si les tempêtes émotionnelles qui s’emparent de nous avec leurs hauts et leurs bas peuvent parfois ressembler à de la bipolarité) et que cela avait un nom : l’hypersensibilité.

Il faut dire que même si Jung l’avait décrite, l’hypersensibilité n’a été caractérisée qu’en 1996 par Elaine Aron dans The Highly Sensitive Person. Mais ce n’est que très récemment que j’ai réellement mis un mot dessus, et entrepris quelques recherches sur la question.

On ne sait pas trop d’où ça vient, peut-être de la génétique, ce qui impliquerait qu’elle a une utilité dans l’évolution de l’espèce humaine.

Elle se caractérise par un mental agité, l’hypersensible est toujours en train d’analyser les choses, son esprit n’est jamais en repos ; il est bien sûr très émotif, vit tout intensément et est pris dans un tourbillon constant, passant de la joie à l’affliction en un instant sans pouvoir toujours identifier le stimulus responsable de ce changement soudain.

Il pleure beaucoup ; il est empathe, et il ressent les émotions des autres ; il est toujours en décalage et semble vivre dans son monde, dans sa bulle, en dehors de la réalité ; l’hypersensibilité est aussi sensorielle, et il a du mal par exemple à supporter les luminosités fortes et le bruit ; il a du mal à se remettre des traumatismes comme un deuil ou une rupture amoureuse.

Ce n’est ni une pathologie ni même une anomalie, on ne peut donc pas en guérir, tout au plus peut-on apprendre à vivre avec ces excès de sensibilité et travailler sur certaines de ses conséquences. Apprendre un peu à se protéger.

Parfois je voudrais l’anesthésier. Je sais que c’est ce qui me rend unique, mais c’est surtout ce qui me tue. Tout ressentir avec intensité, et surtout la douleur. Ne pas savoir gérer le sentiment amoureux, être perdue dans des tempêtes émotionnelles. Je voudrais être « normale ». Etre triste parce que l’homme que j’aime m’a quittée, mais pouvoir aller de l’avant, ne pas en être totalement dévastée, ne pas mettre plusieurs années à me remettre d’une rupture.

Mais c’est impossible. L’hypersensibilité me rend fragile comme du verre fin, le moindre choc me brise en mille morceaux. C’est pour ça que je suis inadaptée au réel : le réel est toujours heurt, coup. C’est comme lorsque je me cogne, même légèrement, et qu’un bleu apparaît, mettant des jours et des jours à partir et à s’effacer. La moindre douleur me vrille et met des mois à s’estomper.

Et pourtant cette hypersensibilité c’est moi. Elle est la matrice de mon rapport au monde depuis toujours. Je la porte certains jours comme une croix, ces jours où tout me déchire. Elle est responsable de mon goût pour la solitude, de ma difficulté à me lier aux autres, elle m’empêche d’habiter le réel.

Elle est ma croix de dépendance : quand je m’attache, c’est trop intensément, et l’amour est pour moi comme l’alcool pour un alcoolique : il ne sait pas le savourer avec mesure, il faut qu’il soit dans l’outrance, quitte à ce que ça le détruise, et lorsqu’il a réussi à se sevrer, la moindre gorgée peut le faire replonger dans les pire excès. Cette hypersensibilité est ma plus grande faiblesse.

Mais elle est aussi ma plus grande force, cette capacité à être exaltée par les petites choses, elle est ma part d’écrivain. Elle est ma capacité à aimer absolument.

Jung disait qu’elle était une richesse, et elle est peut-être finalement la marque des êtres supérieurs. Elle est peut-être la normalité, la manière dont tout le monde devrait ressentir les choses : si tout le monde pleurait devant la vidéo d’un chaton avec sa maman, y aurait-il encore des guerres ?

On veut apprendre aux gens et particulièrement aux hommes à se blinder, à cacher leurs émotions, à garder une certaine distance même lorsqu’ils sont amoureux, et je me demande d’ailleurs comment les hommes qui sont hypersensibles vivent avec ça, c’est déjà compliqué quand on est une femme, alors quand on est un homme dans une société qui condamne l’émotivité masculine au nom de la virilité, ça doit être douloureux.

Alors ne devrait-on pas au contraire encourager les enfants à s’ouvrir et à tout ressentir intensément ?

Et je voudrais vraiment que l’hypersensibilité soit cette richesse-là, pas qu’elle m’empêche de vivre, mais tout analyser constamment, être constamment dans un ascenseur émotionnel, être toujours en décalage avec les autres, être facilement angoissée ou déprimée parce que les chocs émotionnels sont difficilement surmontables, c’est épuisant, et ça m’empêche d’avancer dans ma vie, parce que je suis au final inadaptée au monde tel qu’il est. Alors même que j’ai conscience que c’est le monde qui ne va pas.

Et c’est dur aussi de trouver quelqu’un qui nous accepte comme nous sommes, qui n’est pas effrayé par ces élans d’amour qui devraient être la normalité mais ne le sont pas, ces émotions qui débordent de partout.

Mais je ne peux rien y faire, juste accepter moi d’être comme ça : je ressens tout intensément. Je ne peux pas aimer raisonnablement. Et je sais que j’ai raison, au fond.

Voilà, je m’appelle Caroline, et je suis hypersensible.

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