Le besoin de validation

Un ballon en forme de licorne, devant des immeubles de type haussmanien

Dans sa newsletter du 25 août, Géraldine Dormoy partageait ses réflexions sur cette course effrénée à la validation des autres. Ce besoin de voir reconnaître ses goûts, ce qu’on est dans le regard d’autrui.

Cette lettre m’a plongée dans de tels abîmes de réflexions que je me suis dit que cela valait bien un article, d’autant qu’elle est arrivée avec la rentrée et ce sujet qui revient tous les ans tel un serpent de mer dont on ne parvient pas à couper la tête : le harcèlement scolaire.

C’est le sujet du moment, et il y a une part de moi qui, lorsqu’elle voit ce que subissent les victimes aujourd’hui, se dit que ce qu’elle a subi elle n’était pas si grave et que c’est tout de même un monde, trente ans après, d’y penser encore.

Peut-être que si je n’étais pas hypersensible, je n’y penserais plus. Mais peut-être que si je n’étais pas hypersensible, j’aurais été comme les autres, et je n’aurais as été harcelée.

Le fait est que malgré tout, trente ans après, j’y pense encore.

Quand je dis harcelée, je ne parle pas de ce qu’on voit aujourd’hui, les menaces, les insultes et la violence physique. Je n’ai jamais subi la dernière, et les premières très peu. Non c’était plus insidieux : c’était la mise à l’écart, le rejet. Etre celle qui est souvent toute seule, même si j’ai fini par en faire un mode de vie. A qui les autres ne parlent pas. Celle de qui les autres se cachent pour ne pas qu’elle vienne avec eux. Celle qui n’est pas invitée. Parce que ce qu’elle est, ce qu’elle dit n’est pas intéressant.

C’est compliqué, d’ailleurs, ce type de harcèlement. On peut (c’est difficile et compliqué, mais on peut) empêcher les insultes. Comment empêche-t-on l’ostracisme ? On peut punir un élève parce qu’il a insulté son camarade. Pas parce qu’il ne veut pas manger avec lui à la cantine, ni l’inviter à sa fête d’anniversaire.

Alors, on grandit comme ça, de travers. Comment avoir confiance en soi, quand ce qu’on est n’a jamais été validé par ses pairs, pire, a été rejeté à cette période de la vie où on se construit ?

On grandit de travers. On avance de travers dans la vie. On séduit des hommes, mais on ne leur donne accès à rien de ce qui est profond, intime, parce qu’on a peur que ça recommence, que ce qu’on est ne soit pas validé par l’amour.

On se construit une image comme une armure. Les hommes finissent par partir parce qu’on ne leur donne rien, et parce qu’ils la sentent bien, cette faille, cette blessure, ils sentent bien qu’il y a quelque chose de plus profond sous la surface, quelque chose de caché, qu’on ne leur montre pas et qui leur fait peur. Ils partent, mais au moins, ce qu’ils fuient, ce n’est pas notre être véritable.

Le truc, aussi, quand on est hypersensible, c’est qu’on est souvent hyperconscient, et si on peut mentir aux autres, il est difficile de se mentir à soi-même. Et je ne ne me fais aucune illusion : je sais déjà que tout ce que j’entreprends, c’est aussi pour guérir cette blessure-là. Et je sais que ça sera toujours, plus ou moins, le cas.

Même si cela va mieux, aujourd’hui. Même si l’écriture m’a aidée. L’écriture en soi, parce qu’elle m’aide à mettre de la clarté et d’ailleurs, ce désir, ce besoin d’être validée, je l’ai déjà exploré l’autre jour grâce au programme de Julia Cameron.

Mais plus encore : être lue. Le blog, puis les romans et un peu Instagram, m’a aidée parce qu’il m’a montré que oui, ce que j’écrivais, ce que je montrais, partant ce que j’étais, pouvait intéresser les autres. J’ai mis longtemps, d’ailleurs, c’est ce que j’écrivais l’autre jour, à ne plus me cacher derrière les œuvres des autres.

Et aujourd’hui, chaque « j’aime », chaque commentaire, chaque message est un baume. Le corollaire malheureux c’est que dès qu’une publication, un article ne fonctionne pas comme je voudrais, le monstre revient : ah, ce n’était pas intéressant. Ah, je ne ne suis pas intéressante. Même si j’arrive de mieux en mieux à faire la part des choses entre le contenu, qui peut objectivement ne pas être bon, et ce que je suis moi.

Dire que je me suis affranchie du regard des autres serait un mensonge. Dire que je m’en moque, ce n’est pas vrai. Néanmoins, avec le temps, j’ai appris à ne plus me masquer. A ne plus m’empêcher. Plus constamment, en tout cas.

J’ai appris qu’il y a des gens que ma fantaisie crispera toujours, qui ne comprendront pas qui je suis et, s’ils le comprennent, ne l’accepteront pas. Mais j’ai appris, aussi, qu’il y a des gens qui m’aiment telle que je suis, avec mes lumières mes aussi mes ombres, et c’est assez.

Assez, déjà, pour accepter de me montrer vulnérable. Pour traverser toute la ville avec accroché au bout de mon bras un ballon en forme de licorne, sans me soucier de ceux qui m’ont regardée bizarrement parce que non, à mon âge, ça ne se fait pas. Parce qu’il y a aussi des gens que cela a faits sourire et qui y ont vu ce que c’était : de la poésie, simplement.

Assez pour en parler et me livrer à cœur ouvert.

Est-ce qu’un jour ça passera vraiment ? Plus j’avance dans la vie, et plus j’en doute. Je ne crois pas qu’on puisse s’affranchir tout à fait du regard des autres et de ce besoin d’être validé, tout simplement parce que nous sommes des êtres sociaux, et non des îles isolées. On peut l’assainir, le rendre plus léger, qu’il ne soit plus une obsession (et aujourd’hui j’ai atteint ce stade où je passe rapidement à autre chose quand une publication que je trouvais jolie et intéressante fait flop), mais il sera toujours là.

Et je crois, aussi, qu’on ne se remet jamais de ses blessures d’adolescence : on vit avec, on fait avec, mais elles seront toujours là.

3 commentaires

  1. Astrolabe dit :

    Merci pour ce beau texte, et cette authenticité. Je vous suis depuis longtemps et j’aime beaucoup la façon dont vous nous faites part de votre évolution tout en restant celle que vous avez toujours été.

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