En ce moment, j’ai l’impression que beaucoup de choses bougent à l’intérieur de moi, comme des pièces de puzzle mal ajustées qui reprendraient leur véritable place. Il serait temps : je commence à être clairement épuisée par cette transition du milieu de vie que j’aurais plutôt tendance à appeler crise. Je voudrais enfin sortir de cette phase de transition, justement, et commencer vraiment un nouveau cycle, plus aligné. Alignement est mon mot de 2025, associé à la carte de la Roue de Fortune : cela tombe bien. Alors, aujourd’hui, je vous propose un extrait (remanié) du début du tome 2 du truc, qui s’intitule L’Amour, le fil d’or ou l’équation de Dirac.
Ce n’est pas un chemin linéaire, une ascension vers le sommet de la montagne, comme on l’envisage parfois. Non, c’est à la fois des montagnes russes et une spirales.
Des montagnes russes, parce que certes on monte, mais parfois, aussi, on descend. A l’image du mythe de Sisyphe, on pousse bravement son rocher jusqu’en haut de la pente, croyant que c’est la dernière, et badaboum, ça redégringole en bas, et on se rend compte qu’il y a une nouvelle pente. On a l’impression que c’est sans fin, ces hauts et ces bas.
Une spirale, parce qu’on se retrouve fréquemment face à des problèmes qu’on croyait avoir dépassés.
Parfois on a même l’impression de reculer, parce que surgissent des ombres que l’on croyait avoir terrassées, des ombres plus fortes et plus douloureuses, plus effrayantes. La lumière peine à passer, et on se sent à nouveau plongé dans une nuit noire après avoir entrevu la lumière.
Je poursuis mon chemin, avec l’assurance que je suis enfin sur le bon. Mais c’est long. J’ai cru mille fois avoir trouvé la clé qui ouvrait la porte. J’ai cru mille fois que le moment était venu. J’ai cru mille fois m’être trouvée, et que je n’avais qu’à être patiente, parce qu’il y avait trop de signes.
Toutes ces années, j’ai voulu écrire ma transformation : combien une rencontre m’avait fait évoluer, m’avait changée en profondeur ou plutôt, m’avait permis de retrouver mon vrai moi, celui qui avait été abîmé, blessé, et que j’avais enfoui tout au fond et qui se retrouvait soudain libéré. Avec la certitude que seul l’amour véritable permet ça. Se retrouver soi, pleinement et entièrement. Cette intégrité que j’avais perdue il y a fort fort longtemps.
L’amour vrai, celui qui nous fait grandir, qui nous révèle à nous-même, n’est pas un chemin simple et facile (j’ai envie de dire que si c’est trop facile, c’est que l’amour n’est que superficiel, mais c’est sans doute pour me rassurer). Il nous impose des changements de vie, il nous impose d’accepter que meure ce qui était pour renaître à quelque chose de nouveau. Et cette mort symbolique est douloureuse, terrifiante, et le premier mouvement est de la fuir. Mais lorsque l’amour est là, il ne renonce pas, et cette fuite ne sert à rien : on finit par se soumettre à ce qui doit être. On finit par sortir de la grotte où on s’est enfermé et affronter la lumière aveuglante. On ne peut pas faire autrement : sans lumière, on ne peut pas vivre.
Lorsque l’amour fait ça, il y a des chances que ce soit le vrai, celui dont on parle beaucoup mais que tout le monde n’a pas la chance de rencontrer : celui qui nous bouleverse, émotionnellement et existentiellement, nous poussant à tout renverser et à commencer par nos certitudes, ce qu’on croyait vouloir, aimer, désirer. Ce qu’on croyait être notre vie. Beaucoup de gens ne font pas cette expérience d’affronter leur nuit profonde pour pouvoir renaître tel le Phénix après avoir tout brûlé. Certains n’en ont peut-être pas besoin, chaque chemin est différent. Pour moi, c’était nécessaire : j’étais construite sur du vide, clivée, écartelée, j’avais cru faire des choix qui n’en étaient pas, je vivais une vie de pacotille, enfouie sous des couches qui m’étouffaient autant qu’elles me protégeaient, sans amour, en me convainquant que c’était ce que je voulais, que ça ne me manquait pas.
Mais on ne peut pas se mentir à soi-même toute une vie. Lorsque je t’ai rencontré, sans doute, j’ai senti ce qui remuait. J’ai senti ce qui voulait naître, les changements qui s’imposaient. J’ai senti, surtout, que le chemin serait difficile et douloureux, et je n’avais pas tellement envie de descendre en rappel dans les tréfonds de mon âme à la recherche de ma vérité. Trop peur de ce que j’allais y trouver, de l’ampleur du travail à effectuer. Je n’ai jamais été une très grande adepte du ménage. Finalement, vivre une fausse vie sans chercher à virer les araignées planquées sous les meubles, c’est confortable à défaut de rendre heureux. Mais voilà, j’ai eu beau lutter, ça s’est fait quand même : ce moi que j’avais enfoui tout au fond a grandi, a pris des forces, et si je ne le voyais pas c’est que je faisais une sorte de déni de grossesse, et le jour où je suis entrée en travail, c’était trop tard ; il fallait accoucher, il fallait que ça sorte. Dans la douleur. Et je ne sais même pas si c’est terminé.
Ecrire. Ecouter ce qui parlait en moi et qui avait été trop longtemps muselé. Ma vérité, mon être profond.
Ouvrir un à un tous les verrous. C’est un travail épuisant. Et long. Et décourageant : on en ouvre un, on en ouvre dix, on croit que c’était le dernier, et puis non, la porte ne s’ouvre toujours pas, il en reste un, deux, trois, on a l’impression qu’ils se multiplient à mesure qu’on s’en débarrasse. Mais un jour on parvient enfin à l’ultime.
J’étais verrouillée. Ma nature profonde était muselée, depuis toujours, et c’est pour cela que tout était toujours boiteux, et qu’aucun homme ne pouvait m’aimer vraiment : parce qu’il y avait, au fond de moi, une petite fille qui s’était convaincue que telle qu’elle était, elle ne pouvait pas être aimée. Elle n’était jamais assez sage, assez obéissante, assez tranquille et silencieuse, les autres enfants étaient tellement mieux. Ce n’était pas sa nature, mais elle s’était convaincue que si elle faisait trop de bruit, on ne l’aimerait pas. Si elle suivait son instinct, on ne l’aimerait pas. On l’avait aussi persuadée (et pourtant, toute sa vie d’adulte elle a cru dur comme fer être persuadée du contraire) que la féminité, la séduction, le désir, la sexualité, cette pulsion de vie qui battait, c’était mal. Bien sûr, dans sa vie, il restait des traces de ce qu’elle était : elle ne s’était pas totalement trahie, mais ça boitait, ça n’avançait pas droit, et la femme qu’elle était devenue voyait bien ses incohérences. Elle voyait bien aussi que cela n’avait pas de sens, que les hommes ne tombent pas amoureux d’elle, ne veuillent jamais rien construire avec elle. Les hommes ne sont pas très intuitifs, alors cela devait être tellement évident, ce qu’elle ne voyait pas elle-même : qu’elle avait étouffé ce qu’elle était, qu’elle ne s’aimait pas et vivait en pensant qu’elle n’était pas capable d’aimer et d’être aimée.
Alors il faut descendre dans les profondeurs. Affronter les monstres intérieurs qui barrent le chemin. Laisser les bulles de vérité remonter à la surface. On croit changer, se transformer : en réalité, on redevient soi-même, on se débarrasse de ce faux soi qu’on a créé pour affronter le monde et que l’on déteste parce qu’on sait bien qu’il n’est pas authentique. Et c’est étonnant comme le Moi profond qui était agonisant au fond de nous reprend des forces rapidement dès lors qu’on commence à lui accorder de l’attention. Très vite j’ai été stupéfaite de ce qui se passait en moi, avec toi : un nouveau rapport à mon corps dont j’étais déconnectée et que je haïssais de toute façon puisqu’il n’était pour les hommes qu’un instrument de plaisir ; un nouveau rapport au monde, un désir de calme et de nature alors que je n’aimais (ne croyais aimer) que la ville et sa fureur parce qu’elles m’étourdissait ; besoin de m’entourer de matières naturelles, désir de mettre des plantes chez moi alors qu’auparavant je ne m’y intéressais pas et que je les faisais immanquablement mourir, plaisir de me promener dans les forêts, plaisir de voir la neige. Désir de spiritualité aussi, à ma manière. Tout cela existait au fond de moi, survivait, mais restait caché.
Bien sûr il y a eu des moments de colère, de révolte, de chagrin profond, des jours où j’étais secouée de sanglots, prise dans des tempêtes émotionnelles que je n’arrivais pas à gérer, et il y en a encore. Mais j’ai appris aussi à accepter. Mon hypersensibilité, qui est la matrice de mon rapport au monde et que j’ai voulu étouffer, elle aussi, parce que ça n’entrait pas dans le moule. Et pour être aimée, je pensais que je devais y entrer à tout prix, dans le moule : ne pas être trop émotive pour ne pas effrayer les hommes, ne pas me montrer irrationnelle, faire un métier normal alors que depuis toujours c’était la créativité qui m’appelait. C’est ça que j’ai retrouvé le plus vite, c’est la première vérité qui est apparue parce que je l’avais conservée précieusement juste sous la surface. En fait l’écriture était réapparue dans ma vie lorsque j’avais déjà entrepris ce chemin vers moi, il y a quelques années. Sans doute n’étais-je pas prête alors, ou l’Homme n’était-il pas le bon, mais écrire était déjà là.
Avec toi, c’est devenu mon essentiel. Ma raison d’être. Ma bouteille d’oxygène pour descendre dans les profondeurs.









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