Le pouvoir des histoires

L’autre jour, je suis tombée sur le travail de Rachael Stephen, d’abord autour du storytelling, avant de tomber dans son contenu sur le plot embryo qui m’a littéralement passionnée.

Le plot embryo ? Même si vous êtes écrivain, il est fort probable que vous ne connaissiez pas, parce qu’en France, on ne l’utilise pas. On aurait plutôt tendance à utiliser le schéma narratif de Gérard Genette, qui n’est pas du tout la même chose même si on peut ensuite fusionner les deux, comme nous l’allons voir.

Le plot embryo, que l’on va traduire par « matrice de l’intrigue » (sauf si vous trouvez mieux), a été développé par Dan Harmon, à partir du monomythe héroïque tel que l’explique Joseph Campbell dans Le héros aux mille et un visages. Et cela donne quelque chose comme ça :

Plot embryo
Plot embryo

On part du protagoniste (« you »), ignorant mais dans un monde connu. Il a besoin de quelque chose et part donc en quête, et pour cela, entre dans le « non familier », où il va apprendre, se développer, trouver l’objet de sa quête (dans le cadre du récit héroïque : si le récit est tragique, il ne trouve pas) et rentrer, à nouveau dans une situation de stabilité et d’ordre, mais cette fois il est éveillé (il n’est plus le même qu’au début).

A cette matrice, il me semble que l’on peut tout à fait superposer le schéma narratif de Genette, qui part d’une Situation Initiale d’équilibre (le « you »), puis l’introduction d’un Elément Perturbateur qui déséquilibre, les péripéties, l’Elément de résolution (le retour), et enfin la Situation Finale (un nouvel équilibre).

Cette matrice peut, évidemment, et c’est ainsi que Rachael Stephen s’en sert, être la base pour les écrivains, en leur permettant de poser leur intrigue en une page. Bon, pourquoi pas, mais je pense que c’est un peu trop rigide pour moi de procéder ainsi.

Par contre, je trouve qu’il est fascinant de projeter cette structure sur toutes les histoires qui nous entourent, et pas seulement la littérature. Parce qu’il me semble qu’en ce moment, c’est aussi à une guerre des histoires que nous assistons. Et même, comme le dit Alice Zeniter, des « histoires de mecs qui font des trucs ».

Tout simplement parce que les histoires ont un pouvoir immense. Les histoires façonnent le monde, et notre vision du monde.

La narration coule dans les veines de l’humanité depuis toujours. Raconter est notre mode d’être. Mais, comme le disait Ursula Le Guin, peut-être est-il temps de changer les histoires que nous racontons…

Le Héros aux mille et un visages, de Joseph Campbell : structure du récit

Que nous écoutions avec une réserve amusée les incantations obscures de quelque sorcier congolais […], ou que nous lisions, avec le ravissement d’un lettré, de subtiles traductions des sonnets mystiques de Lao-Tseu ; qu’il nous arrive, à l’occasion, de briser la dure coquille d’un raisonnement de saint Thomas d’Aquin ou que nous saisissions soudain le sens lumineux d’un bizarre conte de fées esquimau – sous des formes multiples, nous découvrirons toujours la même histoire merveilleusement constante. Partout, la même allusion l’accompagne avec une persistance provocante : allusion à l’expérience qui reste à vivre, plus vaste qu’on ne le saura ou qu’on ne le dira jamais.

Après avoir travaillé sur Le Voyage du héros (qui m’a vraiment beaucoup inspiré pour mon projet), j’avais envie de revenir à la base avec ce grand classique de la mythocritique, devenu un ouvrage de référence et la bible de ceux qui racontent des histoires…

Dans cet essai, dont la première édition date de 1949, Joseph Campbell s’attache à étudier la structure des récits mythologiques ; sa théorie est celle du monomythe : tous les mythes répondraient aux mêmes schémas archétypaux.

Après avoir étudié le monomythe, il s’intéresse dans une première partie à la structure du voyage du héros : le départ, l’initiation, le retour. Dans une deuxième partie, il traite du cycle cosmogonique, avant de conclure sur le mythe et la société.

Tout cela donne un ouvrage absolument passionnant même si parfois un peu ardu, d’une grande richesse et variété tant au niveau des récits issus de toutes les cultures qu’au niveau des illustrations. Au bout du compte, ce qu’on peut retenir, c’est le caractère essentiel des mythes, qui constituent un véritable voyage de l’âme et s’appuient, tout comme l’astrologie, sur de nombreux ressorts psychologiques.

Campbell rapproche souvent le mythe, le rêve et la poésie, et fait du poète un héros dont la mission est de transmettre son expérience. Et je suis tout à fait d’accord !

A lire si vous vous intéressez à la mythologie, et que vous avez un peu de temps devant vous, car c’est consistant. Mais encore une fois absolument passionnant !

Le Héros aux mille et un visages (lien affilié)
Joseph CAMPBELL
Traduit de l’américain par H. Crès
Oxus, 2010