Infrarouge, de Nancy Huston

Précaire masculin

ça leur fait mal, aux hommes, pourtant maîtres du monde, de ne pouvoir maîtriser une partie si cruciale de leur anatomie ; ça les énerve qu’elle puisse se mettre au garde-à-vous alors qu’ils ne lui ont rien demandé, ou refuser d’esquisser le moindre mouvement quand ils en ont le plus urgemment besoin. D’où leur tendance à se cramponner aux choses qui demeurent rigides de façon fiable : fusils mitrailleurs, médailles, attachés cases, honneurs , doctrines. Ils n’aiment pas sentir leur chair télécommandée par la chair féminine, ça leur fait peur, leur peur les mets en colère, et les effets de cette colère sont partout palpables. Incapables de contrôler leur propre corps, ils contrôlent celui des femmes en le déclarant tabou.

Depuis ma lecture de Reflets dans un œil d’hommej’avais très envie de découvrir Nancy Huston romancière, pressentant à juste titre que les réflexions passionnantes qu’elle menait dans son essai étaient sans aucun doute également au cœur de sa matière fictionnelle.

L’infrarouge est une technique photographique qui permet de capturer les zones de chaleur, et notamment celle des corps. C’est ainsi que Rena aime photographier les hommes dans l’abandon de l’après jouissance. Mais pour l’heure, elle est à Florence avec son père et sa belle-mère, totalement hermétiques aux splendeurs de la Renaissance italienne, et ce voyage somme toute raté est pour Rena l’occasion de revenir sur certains événements de sa vie.

Voilà un roman que je ne suis pas près d’oublier, tant il est riche et admirablement mené.

Le sexe des hommes

J’ai immédiatement été séduite par Rena, fascinante photographe qui aime les hommes et multiplie non seulement les amants mais aussi les maris. Dans le roman alternent une narration à la troisième personne, consacrée au présent du voyage catastrophique, et une narration à la première personne dans laquelle Rena remonte le temps et explore le passé en compagnie de son amie imaginaire, Subra, inversion du patronyme de Diane Arbus.

Le procédé peut sembler un peu caricatural, mais finalement cela passe très bien car il permet non seulement au texte d’aborder plusieurs couches temporelles, mais aussi de créer un curieux mélange de registres.

Car, si le présent est somme toute assez burlesque (encore que…), le passé, lui, est extrêmement douloureux et de plus en plus effrayant à mesure que le lecteur en reconstitue le puzzle.

Mais cette exploration du passé est aussi l’occasion d’une réflexion absolument fascinante sur le masculin, à la fois profonde et amusante, où on trouve déjà en germe Reflets dans un œil d’homme : la question des regards, celui du masculin sur le féminin mais aussi, beaucoup plus original, celui du féminin sur le masculin, puisque le travail photographique de Rena a le corps masculin pour objet.

C’est donc vraiment un excellent roman, très charnel et sensuel, parfois cru, mais parfaitement mené et passionnant, tissé de références littéraires et artistiques.

Infrarouge
Nancy HUSTON
Actes Sud, 2010 (Babel, 2012)

 

22 commentaires

  1. clara dit :

    et dire qu’il dort dans ma PAL..

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    1. L'Irreguliere dit :

      Il ne faut pas le laisser dormir !

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  2. sylire dit :

    Il dort aussi dans ma PAL ! De l’auteure je te conseille « lignes de faille », admirable.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Oui, je l’ai noté

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  3. Asphodèle dit :

    J’aime beaucoup cette auteure exigeante, je note celui-ci que je ne connais pas !

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    1. L'Irreguliere dit :

      J’espère que tu aimeras !

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  4. mokamilla dit :

    Je n’ai lu d’elle que les Variations Goldberg. Le prochain sera peut-être celui-ci.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Je l’ai vraiment trouvé très intéressant

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  5. Luise dit :

    J’avais adoré ce roman mais, paradoxalement, étais peu entrée en empathie avec l’héroïne.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Je l’ai trouvée assez fascinante !

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  6. Emma dit :

    Je n’ai malheureusement pas été aussi séduite que toi par ce roman qui m’a grandement déçue. A vrai dire, je ne l’ai même pas terminé, ce qui est une grande première pour moi.
    J’ai trouvé le principe de l’amie imaginaire, du moins, les conversations entre Rena et son amie-imaginaire, totalement artificielles, ralentissant le récit. Récit qui n’a pas réussi à me saisir, par ailleurs.
    Je travaille sur l’oeuvre de Nancy Huston depuis des années maintenant, elle était au coeur de mes recherches pour mon Master et maintenant pour ma thèse, et dans « Infrarouge », elle m’a donné le sentiment de se caricaturer elle-même, son style tout comme ses préoccupations.
    Une très grosse déception que je ne souhaite à personne, bien évidemment, tout comme je ne dissuaderai jamais quiconque de découvrir l’oeuvre de cette auteure extraordinaire.

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    1. L'Irreguliere dit :

      C’est fascinant comme les opinions peuvent être radicalement opposées sur un même roman !

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  7. de Mérignac dit :

    Nancy Huston a été visiteuse de prison (notamment chez les femmes à Fleury-Méro
    gis). Savoir aussi à son sujet qu’elle et sa soeur ont été abandonnées par leur mère. Cette femme fait partie des auteurs qui ont quelque chose à dire ou qui ne se regardent pas écrire. Rare par les temps qui courent !!!!
    Quant à moi, je vous conseille « L’espèce fabulatrice » qui date de 2008.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Il est dans ma liste d’envies !

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  8. J’ai presque tout lu de Nancy Huston (un peu moins ses essais) Celui ci avait eu des avis assez contrastés lors de sa sortie, c’est pour ça qu’il n’est pas encore dans ma PAL. Tu sembles conquise et ce que tu en dis achève de me convaincre, il devrait donc bientôt y arriver (dans ma PAL .0)

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    1. L'Irreguliere dit :

      C’est vrai que les avis sur ce roman divergent pas mal…

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  9. jerome dit :

    C’est une auteure que j’aimerai beaucoup découvrir. J’ai vu qu’elle avait un nouveau roman de prévu à la rentrée, ce sera peut-être l’occasion.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Oui, je l’attends avec une certaine curiosité !

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  10. Violette dit :

    je note plutôt deux fois qu’une. J’ai lu du très bon de cet auteur (dont l’écriture est sublime) et du soporifique.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Soporifique ce n’est pas le cas ici !

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  11. chaplum2 dit :

    Une romancière que j’aime beaucoup. Je n’ai pas lu ce titre mais tu me donnes envie !

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    1. L'Irreguliere dit :

      Si tu aimes l’auteur, je pense que ça te plaira !

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