Les Amants spéculatifs, d’Hélène Risser

Je connais des écrivains. Je connais leur logique. J’ai expérimenté leur rapport trouble au réel. Certains vivent pour les écrire, d’autres écrivent au lieu de vivre, d’autres encore jouent à Dieu avec leurs personnages — ce qui peut être dramatique quand ceux-ci sont réels —, mais j’attendais autre chose de la part d’une journaliste, dont le métier consiste à restituer le réel.

Encore un roman dont le titre m’a beaucoup intriguée, mêlant dans une formule oxymorique l’amour et la finance, deux domaines a priori incompatibles. Et pourtant. Que se passerait-il si on essayait d’appliquer aux sentiments les règles qui régissent la banque ?

Hélène R, journaliste, est contactée par un éditeur pour écrire l‘autobiographie d’une banquière. Son choix se porte sur Anna B, qu’elle avait déjà interviewée quelques années plus tôt. Mais Anna semble beaucoup plus préoccupée, au cours des entretiens, par ses problèmes amoureux que par la finance, qui est pourtant le sujet du livre. Mais peut-être qu’elle n’est pas si hors-sujet que cela…

Le roman, très habilement construit, varie les points de vue et les modes de narration : retranscriptions d’entretiens, journaux d’Hélène et d’Anna, mails, alternent, pour nous proposer une histoire assez réjouissante et originale, qui pousse à s’interroger sur le fonctionnement des relations amoureuses.

Le personnage d’Anna, fascinant, permet d’interroger le rôle des femmes dans la société, et ce hiatus entre la carrière et la vie privée, et notamment la maternité : refusant de se laisser dévorer par son rôle de mère, elle a passé un pacte avec son mari, et c’est lui qui s’est mis entre parenthèses pour s’occuper des enfants ; sauf que le système est au bord de l’implosion.

Et voilà Anna, obsédée du contrôle, qui se prend à modéliser sa vie comme elle ferait un montage financier : évaluation des risques, matrices, spéculation, tout fonctionne sur un mode métaphorique où le libertinage est analysé à travers la théorie des jeux est où la cristallisation amoureuse est vue comme une bulle spéculative qu’il convient de faire dégonfler progressivement et non exploser.

Terre à terre ? Et bien non, c’est au contraire étrangement poétique, malgré la modernité il y a quelque chose de très XVIIIème siècle, du Marivaux et du Laclos. Et ça fonctionne : une fois que l’on a saisi le principe de cette théorie des jeux (et si l’allergique aux mathématiques que je suis a à peu près compris, c’est que c’est accessible à tout le monde), on se rend compte que l’on peut analyser par ce moyen bien des histoires.

Au passage, l’auteure interroge également la fabrique de l’autobiographie, le règne de l’actualité et le marketing éditorial, et surtout les relations entre le ghost writer et son sujet. Le rapport au réel, que ce soit dans le monde littéraire ou celui de la finance, ce qui permet, l’air de rien, de comprendre certaines choses concernant la crise…

Un bon roman donc, très original, que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire !

Les Amants spéculatifs (lien affilié)
Hélène RISSER
Lattès, 2014

19 commentaires

  1. mobylivres dit :

    Lors de la présentation littéraire de juin, je n’ai pas accroché avec ce roman. L’auteur était tellement glaciale et particulière qu’elle m’a refroidi pour le coup. Mais ton article me réconcilie avec cette histoire.

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    1. irreguliere dit :

      Ah, je n’ai pas pu y assister, du coup la personnalité de l’auteure ne m’a pas influencée !

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  2. noukette dit :

    J’avoue être moins tentée par celui ci, ouf… (pauvre PAL…!)

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    1. irreguliere dit :

      Nous en sommes tous là…

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  3. Je n’ai lu que ta conclusion et je suis ravie, je pense le lire très prochainement !

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    1. irreguliere dit :

      Ah, j’espère que tu aimeras !

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  4. cartonsdemma dit :

    Ce ne sera peut être pas le premier sur ma liste mais je note

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    1. irreguliere dit :

      Oui, si tu as l’occasion, il vaut la peine !

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  5. Eve-Yeshe dit :

    idem pour moi, j’en ai d’autres en priorité mais je note quand même, ça m’a l’air d’être original.
    comment tu te procures les livres? achats groupés? l’an dernier j’avais demandé car il y avait un groupe qui achetait tous les mois via price minister .com mais c’était trop tard pour m’inscrire j’avais pris le challenge en cours bien plus tard.
    sinon pour le porte monnaie c’est un peu dur.
    l’an dernier j’ai fait avec la FNAC et la bibliothèque de ma petite ville (mais liste d’attente ++++ j’ai récupéré « petites scènes capitales » de S. GERMAIN en juillet 2014 idem pour V. OLMI
    TOUT CONSEIL SERA BIEN VENU!!!!!
    a bientôt je vais publié les chroniques que j’ai commencer avec les 5 livres que j’ai reçus via jury grand prix FNAC

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    1. irreguliere dit :

      Les éditeurs m’en envoient certains…

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  6. sophieadriansen dit :

    Ce roman me fait de l’œil depuis que les programmes de rentrée sont parus… Ton avis confirme mon envie !

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  7. valou dit :

    j’ai longtemps hésité, il est chez moi, me demandant si le sujet allait coller avec moi.. tu commences à me rassurer et je vais certainement me lancer bientôt

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  8. Leiloona dit :

    J’étais partante, et je tombe aussi sur le commentaire de Moby … du coup je repense à un commentaire sur facebook d’une personne qui me disait ne pas vouloir lire le Oliver Adam à cause d’une rencontre ratée … Oui, nous n’appréhendons pas de la même façon des lectures d’auteurs morts que celles des vivants ! 🙂

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  9. ohoceane dit :

    Il y a un aspect passage d’une réalité à l’autre qui m’intrigue. A lire.

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    1. irreguliere dit :

      Effectivement, le rapprochement est intrigant !

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  10. pralineries dit :

    Pourquoi pas ?

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    1. irreguliere dit :

      Oui pourquoi pas ?

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