L’écriture fournit des alibis extraordinaires. Écrivain est le seul métier qui permette de rester sous une couette toute la journée en disant « Je travaille. »
Un nouveau Foenkinos, vous imaginez bien qu’il n’a pas végété longtemps dans le purgatoire des livres attendant désespérément leur tour d’être lus. Pour être plus exacte : je l’ai acheté, je suis rentrée chez moi, je ne suis installée confortablement (sous le regard suspicieux du chat de mes parents :

) et je l’ai lu.
Bon, j’ai deux excuses au fait qu’il a grillé toute la file d’attente : d’abord ça parle d’écrivain, d’écriture et du monde des gens de lettres, et ensuite, donc, j’étais chez mes parents et il se trouve que je n’avais pas tout à fait prévu assez de munitions pour la semaine (il a fait un temps dégueulasse et je me suis peu promenée, j’ai moins acheté de choses que prévu à Lire à Limoges). C’était ça où je piquais un San Antonio dans la bibliothèque de mon père !
A Crozon, en Bretagne, il existe une bibliothèque qui recueille les manuscrits refusés par les maisons d’édition**. C’est là que Delphine, jeune éditrice chez Grasset, et son compagnon, dont le premier roman a été un échec commercial, tombent sur une pépite : Les dernières heures d’une histoire d’amour, d’Henri Pick, qui met en parallèle l’agonie d’un couple et celle de Pouchkine.
Le problème c’est qu’Henri Pick, récemment décédé, tenait une pizzeria et n’avait visiblement guère lu de livres dans sa vie, a fortiori Pouchkine. D’autant plus problématique qu’on se demande bien à quel moment il aurait pu écrire son roman — on, c’est-à-dire sa famille, et avec lui le reste du monde, attendu que le roman devient vite un véritable phénomène, sur lequel Jean-Michel Rouche, critique littéraire déclassé, décide d’enquêter. Parce que lui, cette histoire de pizzaïolo, il n’y croit pas !
Encore une fois, Foenkinos sait ferrer son lecteur qui dès le début se retrouvera à tourner les pages sans s’arrêter, avide de connaître la clé du mystère.
C’est un peu un roman policier, reposant sur la figure de la parallipse (au sens narratologique) chère à Agatha Christie, et c’est assez malin parce que du coup, cela permet de tromper le lecteur même le plus attentif et de l’entraîner sur des fausses pistes.
Mais pas seulement : à travers cette enquête, Foenkinos met au centre de l’histoire la vie du livre, et propose une réflexion assez intéressante sur les phénomènes littéraires, le marketing éditorial, tout ce qui fait que le roman du roman, et la personnalité de l’auteur, sont parfois aussi important (et même plus) que le roman lui-même, qui finit par devenir un produit comme un autre, devant son succès autant à la publicité qu’à ses qualités intrinsèques.
Mais c’est aussi un roman sur la lecture et la manière dont elle fait écho en nous : la femme d’Henri Pick se projette et imagine ainsi comment une période de leur vie a pu inspirer son mari pour l’écriture de ce roman.
On croise dans cette histoire tout le gratin du monde des gens de lettres, qu’ils soient réels comme François Busnel, Bernard Lehut ou certains éditeurs, ou fictifs comme Delphine ou Jean-Michel Rouche, mais aussi des gens « normaux », souvent touchants, notamment lorsque par un effet papillon aussi soudain qu’inattendu leur vie est totalement bouleversée à cause du roman de Pick, un roman qui, littéralement, va changer la vie de bien des gens.
Foenkinos nous amuse, virevolte, satirise (tout en tendresse) dans ce roman résolument jubilatoire, peut-être moins fantaisiste et plus sérieux que ses romans précédents (exception faite de Charlotte) mais tout aussi délicat et humain, qui réhabilite les rejetés de l’édition et les génies méconnus !
Le Mystère Henri Pick (lien affilié)
David FOENKINOS
Gallimard, 2016
** Elle existe aux Etats-Unis : c’est la Brautigan Library à Burlington, dans le Vermont, et elle porte le nom de l’écrivain Richard Brautigan, qui avait imaginé un tel lieu dans son roman L’Avortement









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