La littérature érotique, de Jean-Jacques Pauvert

Car une nouvelle mentalité est née en Allemagne et en Angleterre : le Romantisme. Et celle-ci est doublement dirigée contre la culture française : contre l’hégémonie des Lumières, du rationalisme, et en même temps contre la licence « philosophique ». Le Romantisme est un mouvement moral. « L’art doit être grave, candide et religieux », édictera Victor Hugo. Pour une renaissance nationale (en Allemagne, une naissance), contre les guerres conquérantes de l’Empire. Tout cela explique la réaction générale contre la culture française, définitivement rangée dans l’obscénité, la licence, le libertinage. Et le raidissement des pouvoirs étrangers européens, gardiens de la vertu. L’Angleterre, l’Espagne, les pays germaniques, l’Italie sont garrottés dans l’ordre moral, et semblent généralement satisfaits de l’être.

L’autre jour, en cherchant autre chose (en l’occurrence Mauriac), je suis tombée sur Jean-Jacques Pauvert. Pure sérendipité, qui m’a fait éclater de rire, attendu qu’on n’est pas du tout dans le même registre, Mauriac n’étant pas trop un adepte de la fête du slip, a priori.

Mais enfin bref, je suis tombée sur ce petit essai, que j’ignorais de prime abord totalement posséder, alors même que cela fait un temps infini que je cherche un ouvrage historique de qualité sur la littérature sulfureuse (après réflexion, je me souviens en effet de l’avoir acheté dans un vide-greniers), et que s’il y en a un qui s’y connaît, c’est quand même bien Jean-Jacques Pauvert (dont je rappelle que c’est grâce à ses lectures amoureuses que j’ai découvert ce pan de notre culture. La boucle est bouclée).

Pauvert part dans son avant-propos d’un constat très simple : si habituellement la littérature tend à refuser les classements (elle est ou elle n’est pas), nous éprouvons pourtant le besoin de signaler d’un texte qu’il appartient à la catégorie « érotique » (que Pauvert ne distingue pas du pornographique) ; la chose a toujours existé, la littérature a toujours parlé de sexe, mais l’idée même de « littérature érotique » n’est pas si ancienne, et se base essentiellement, pour être définie comme telle, sur des critères juridiques.

La suite de l’essai est donc essentiellement historique, de la naissance de la littérature (avec toutes les précautions que cela impose vu qu’il nous manque des éléments concernant les intentions et la réception pour pouvoir vraiment qualifier certains ouvrages d’érotiques) aux années 2000.

C’est une introduction, et le panorama est donc assez rapide : pour autant, c’est évidemment passionnant, et érudit.

A travers l’histoire de la production et de la réception des textes osés, c’est aussi une histoire des mœurs, changeantes, que nous avons sous les yeux, ainsi que des outils juridiques. Tout est finalement une question de regard : qui, aujourd’hui, qualifierait Nana de Zola d’érotique ?

Et pourtant, à l’époque, le roman a été considéré comme tel, même en France — et pourtant, comme le montre le texte, le libertinage à la française n’est pas seulement une invention de ces puritains d’Américains peine-à-jouir, il y a réellement tout un mouvement de fond sexualisé dans la littérature française, dont Sade, sur lequel se penche évidemment longuement Pauvert, est l’exemple limite, mais loin d’être unique.

Bilan ? Malgré les interdits, notamment religieux, la littérature érotique survit toujours. Néanmoins, le constat final de Pauvert rejoint un peu celui d’Olivier Bessard-Banquy : dans une société libéralisée comme la notre, la littérature érotique, perdant de son pouvoir subversif, perd de son intérêt, et de sa qualité, en devenant une « mode ».

A titre personnel, j’apporterai une nuance, suggérée par la récente affaire Calmann-Levy : il y a toujours, et il y aura encore très longtemps, des esprits chagrins et étriqués  pour être choqués par la « littérature licencieuse », notamment lorsqu’elle met en scène des femmes qui assument pleinement leurs désirs ; elle reste donc subversive, et le restera, même si le combat n’est plus juridique (et encore, à nuancer si on élargit au cinéma) mais sociétal.

Bref, à lire absolument pour avoir les idées claires sur la question. Quant à moi, je lorgne désormais sur l’Anthologie historique des littératures érotiques du même auteur !

La Littérature érotique
Jean-Jacques PAUVERT
Flammarion, 2000

5 commentaires

  1. Jerome dit :

    Ah, Pauvert ! Un grand monsieur pour lequel j’ai toujours eu beaucoup d’estime.

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    1. Oui, c’est vraiment une référence, et il a fait beaucoup pour la littérature érotique !

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