L’autre jour, plongée en pleine interrogation existentielle, je me demandais pourquoi je me sentais totalement incapable d’écrire une histoire qui se termine bien. Quel que soit le texte que je regarde, en chantier ou achevé, nouvelle ou roman, cette évidence m’a sauté aux yeux : à de très rares exceptions près (et encore, en ne chipotant pas trop sur les détails), ce que j’écris se termine soit pas très bien, soit carrément mal.
Ça ressemble souvent à de la comédie romantique, ça en reprend les codes, mais il y a toujours quelque chose qui dérape, un grain de sable, un truc qui enraye la machine, et la fin heureuse se dérobe.
Et mes personnages finissent seuls, malheureux, désespérés d’y avoir cru encore une fois, alors que ce n’était encore une fois qu’une illusion.
Pourtant, j’aime regarder les comédies romantiques. Surtout quand je suis d’humeur sombre. Surtout Love Actually. Même si en fait, souvent ça me déprime, aussi. Mais voilà : je me sens incapable d’en écrire une, ne serait-ce que pour m’amuser.
Alors, je me suis lancé un challenge : en écrire une, une vraie, avec une fin heureuse, une grande scène de déclaration d’amour qui dégouline de romantisme, met des étoiles dans les yeux et un sourire aux lèvres. Un truc qui donne envie de tomber amoureux et d’y croire encore.
J’ai la trame, j’ai les personnages, j’ai l’idée, en fait j’ai l’essentiel, mais ça bloque. Parce que le naturel reprend toujours le dessus. Je tricote le truc dans ma tête comme je fais toujours, je vois le déroulement comme un film avec les différentes possibilités, bifurcations, mais malgré moi ça s’assombrit, comme toujours (les autres histoires aussi (en tout cas certaines), à la base, étaient supposées se terminer bien).
Je réfléchis, et je me dis que oui mais, en fait, cette fin, c’est bien, mais ça serait mieux si… si ça ne se terminait pas bien.
Mieux ? Plus vraisemblable, surtout. Je crois que j’en suis arrivée à un stade de ma vie où, à part dans les films et dans les romans (et donc pas les miens), je n’y crois plus, aux fins heureuses, au happy ending, aux « happily ever after » des contes de fées, avec ou sans enfants. Cela fait un moment. Onze ans exactement.
Mais là, avec la quarantaine qui se profile, avec surtout quelque chose qui se passe actuellement (enfin qui se passe… dans ma tête surtout à mon avis) mais que j’ai peu d’espoir de voir évoluer dans le bon sens, j’en arrive à la conclusion que j’ai beau, et heureusement, en avoir des exemples autour de moi, je n’y crois pas. Je n’y crois pas pour moi. Pas de cette manière, en tout cas.
Et comme ma vie et ce que j’écris sont intrinsèquement liés, comme mes personnages féminins sont mes doubles grâce auxquels j’envisage les possibilités de l’existence…
Je n’arrive pas à écrire de fin heureuse parce que je ne la trouve pas, ma fin heureuse, et que donc je n’y crois plus.
Alors certains diront que moi qui crois fermement à l’écriture prédictive et à l’influence de la littérature sur la vie, je n’ai qu’à faire l’inverse : écrire une fin heureuse pour mes héroïnes, afin d’influencer le réel.
Ecrire une fin heureuse au moins pour l’une d’entre elles, pour cette Camille à qui je viens de donner naissance et qui mérite de trouver ce qu’elle cherche depuis toujours avec Sébastien, parce qu’il est gentil et qu’il a envie de la rendre heureuse. Ecrire une scène où ils s’embrassent sous une pluie battante, où ils courent sur une plage, où ils se blottissent l’un contre l’autre dans des draps blancs un dimanche matin.
J’ai envie, mais sous ma plume, j’ai l’impression que ça sonne faux. J’ai l’impression de mentir, de jouer du pipeau. Je regarde Camille, qui est une chouette fille mais fatigante à aimer, un feu follet qui habite poétiquement le monde (toute ressemblance avec son auteur ne serait pas fortuite), et je ne vois pas bien quoi faire pour que cette fois cela fonctionne ; je regarde Sébastien qui a envie de stabilité et d’équilibre, et je ne vois pas bien pourquoi il prendrait le risque de la tornade Camille.
J’ai envie d’écrire leur histoire, de leur donner une chance, de leur faire prendre ce risque de s’abîmer parce que c’est aussi le risque d’être heureux. Mais pour l’instant, ça sonne faux. Et si ça sonne faux…
L’autre jour, je suis tombée sur le numéro d’Apostrophes consacré à l’amour, avec Barthes et Sagan. Et Sagan dit cette chose épouvantablement juste : la sexualité, on en sort intact ; l’amour, c’est le risque effrayant de l’aliénation et du malheur.
Je sais écrire le sexe, l’érotisme (enfin, je crois). Mais l’amour, je ne sais pas. Les émotions, je ne sais pas. L’intimité, je ne sais pas.
Alors je vais essayer de l’écrire quand même, cette histoire à fin heureuse, même si je n’en maîtrise pas tout. Même si à dire vrai je n’y crois pas vraiment, même si je donnerais cher pour qu’on me prouve que j’ai tort (en général, j’ai toujours raison, mais pour une fois je voudrais qu’on me montre que je me trompe). Mais je ne promets rien…









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