Des bleus à l’âme, de Françoise Sagan

j’ai trente-cinq ans, de bonnes dents, et si quelqu’un me plaît, généralement, cela marche encore. Seulement, je n’en ai plus envie. J’aimerais aimer et même souffrir et même trembler au téléphone. Ou mettre un disque dix fois de suite, et respirer le matin, en me réveillant, cet air de bénédiction naturelle qui m’était familier. « On m’a ôté le goût de l’eau et puis celui de la conquête ». C’est un disque de Brel, je crois. Mais en tout cas, cela ne marche plus et je ne sais même pas si je vais montrer ces pages à mon éditeur. Ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas une vraie confession, c’est quelqu’une qui tape à la machine parce qu’elle a peur d’elle-même et de la machine et des matins et des soirs, etc. Et des autres. Ce n’est pas beau, la peur, c’est même honteux et je ne la connaissais pas. Voilà tout. Mais ce « tout » est terrifiant.

Une petite pause dans la rentrée d’hiver, pour une raison bassement matérielle qui après coup m’apparaît bizarrement comme un signe du destin. Il se trouve que, pour la première fois de ma vie, je n’avais pas emporté assez de livres dans mes bagages pour mes vacances, et que je me suis donc trouvée fort démunie pour mes lectures au coin du feu.

Fort opportunément, j’étais passée chez le bouquiniste de Saint-Girons, où j’avais déniché, entre autres, plusieurs exemplaires vintage de Sagan (j’ai aussi racheté Bonjour Tristesse parce que mon exemplaire tombait en morceaux à force d’être relu et La Femme fardée).

Alors Sagan, j’ai toujours peur de la lire, parce qu’à chaque fois ses mots font tellement écho en moi que cela me bouleverse totalement. Ce qui n’a pas manqué, du reste, cette fois encore.

Deux textes se mêlent ici. L’histoire de Sébastien et Eleonore, un frère et une sœur, aristocrates suédois que le manque d’argent n’empêche pas de mener une vie inimitable tant ils fascinent tous ceux qu’ils rencontrent, prêts à tout pour leur faire plaisir. Les réflexions de l’écrivain qui écrit cette histoire.

Alors évidemment, j’ouvre le roman, déjà profondément perturbée par le titre qui correspond plutôt bien à l’état actuel de mon âme, et je tombe dès les premières lignes sur la phrase que j’ai mise en exergue. Après ce que j’ai écrit dans mon bilan 2017, vous ne pouvez pas imaginer à quel point ces quelques lignes m’ont mise face à quelque chose de plus grand que moi, m’ont profondément déstabilisée et bouleversée, comme si mon âme était allée s’inscrire sur ces pages pourtant écrites largement avant ma naissance.

Pour ce qui est du roman lui-même, j’ai bien sûr adoré encore une fois ce monde frivole de Sagan, ces personnages qui vivent une vie inimitable, loin des préoccupations bassement matérielles et terre à terre du commun des mortels, une manière poétique d’habiter le monde : on l’a souvent reproché à l’auteur, mais pour ma part, j’aime énormément cette manière dont elle libère ses personnages du quotidien pour toucher à quelque chose qui est finalement autrement essentiel.

L’histoire d’Eleonore et Sébastien, sa gaieté et sa cruauté, m’a donc beaucoup touchée. Mais, évidemment, c’est surtout le journal du roman, à la fois autoréflexif et introspectif, qui m’a passionnée, et encore une fois, Sagan y montre que sa légèreté n’est en fait qu’une insoutenable profondeur.

Des bleus à l’âme (lien affilié)
Françoise SAGAN
Flammarion, 1972 (J’ai Lu, 1974)

6 réponses à « Des bleus à l’âme, de Françoise Sagan »

  1. Avatar de La Barmaid aux Lettres

    J’aime beaucoup la manière dont tu as retranscris tes émotions c’était agréable et prenant.
    Françoise Sagan ça me rappelle toujours ma mère, peut-être ressentais t elle la même chose que toi dans ces lectures 🙂

    Aimé par 3 personnes

  2. Avatar de ellea40ans

    Ça ne redonne envie de la relire cette grande dame

    Aimé par 1 personne

  3. Avatar de voyageauboutdemeslivres

    Tu me donnes envie de relire ce Sagan. J’en ai lu énormément dans ma jeunesse, jamais depuis. J’avais perdu tous mes livres de Françoise Sagan et en déménageant le grenier il n’y a pas longtemps, je les ai tous retrouvés dans un carton ! Et j’en ai beaucoup. Je me souviens encore des émotions lors de mes lectures.

    Aimé par 2 personnes

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      C’est ce qui me fait peur : beaucoup d’émotions !

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  4. Avatar de la plume et la page

    Je n’ai pas lu celui-ci et du coup je suis intriguée. J’avais bien sûr lu « Bonjour tristesse » et puis « Un certain sourire ». Qui m’avait touché à l’époque mais dont je ne me souviens pas bien de l’histoire… J’ai « Château en Suède » qui traîne sur mes étagères. Qui attend sagement d’être lu…

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