L’ange de l’histoire, de Rabih Alameddine

L'ange de l'histoire, de Rabih Alameddine : dans le labyrinthe infernal des souvenirs

Oublier est bon pour l’âme, dit Mort. Non seulement bon mais nécessaire. Comment veux-tu qu’ils continuent à vivre si aucun souvenir ne peut s’estomper ? Nous devons oublier, tous nous le devons. Ne te rappelles-tu pas le garçon de Fray Bentos, Funès ou la mémoire ? Borges affirmait que le garçon se souvenait de tout, de chaque minute, du moindre détail sans intérêt : de la forme des nuages, mammatus le mardi après-midi à deux heures, de la rotation de la roue hydraulique et de sa circonférence, de la couleur de chaque poil de la crinière d’une jument. Le pauvre garçon avait besoin d’une journée entière pour reconstruire la précédente car il ne pouvait rien oublier. Dans le monde si rempli de Funès il n’y avait guère que du détail. Il ne pouvait rien créer, rien inventer. La douleur de tout cela, la douleur de ne pas oublier. 

Il y a deux ans, j’avais été particulièrement séduite par Les vies de papier, de Rabih Alameddine, et je n’avais d’ailleurs pas été la seule, puisqu’il avait reçu le prix Femina étranger. Il est donc somme toute logique que je me sois intéressée à son nouveau roman, qui nous plonge dans l’histoire d’un poète hanté par les souvenirs

Pendant que Jacob passe la nuit aux urgences psychiatriques et que nous découvrons ses carnets, où il s’adresse à l’homme qu’il aimait, mort depuis de nombreuses années, Satan, Mort et quelques Saints ont un entretien à son sujet.

Qu’est-ce que ce poète, libanais par son père et yéménite par sa mère, homosexuel, qui a passé son enfance dans un bordel du Caire avant d’être abandonné dans une institution catholique au Liban, puis de s’installer à San Francisco où tous ceux qu’il aime sont décimés par le Sida, qu’est-ce que ce poète, donc, a de si spécial pour intéresser toutes ces entités mythologiques ?

Prodigieux conte philosophique sur la mémoire et l’oubli, l’identité, l’amour, la mort, L’Ange de l’histoire a de quoi déconcerter de prime abord, de par sa construction complexe. Mais, très vite, on se laisse envoûter et entraîner dans ce vertige métaphysique, et on s’attache à Jacob, cet être fragmenté, clivé, torturé par son passé.

Le texte oscille sans cesse entre l’ombre et la lumière, et pose une question essentielle : faut-il oublier pour vivre ?

Chacun, sans doute, aura sa réponse, parce que chacun fait ce qu’il peut avec son passé, et choisira Satan, qui ne cesse de remettre Jacob face à ses souvenirs (et dans ce texte Satan n’est pas négatif, il se révèle même souvent sympathique et drôle), ou Mort, qui prône l’oubli.

Bref, un texte riche et complexe de par les questionnements qu’il suscite, fort irrévérencieux dans sa manière d’aborder la religion, mais qui n’oublie pas aussi, souvent, d’être assez drôle malgré l’omniprésence de la mort et de la douleur. Je conseille sans réserves !

L’Ange de l’histoire (lien affilié)
Rabih ALAMEDDINE
Traduit de l’anglais par Nicolas Richard
Les Escales, 2018

2 commentaires

  1. Jérôme dit :

    Je suis passé à côté et je le regrette vraiment mais mon encéphalogramme est resté plat tout au long de la lecture.

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    1. C’est sûr qu’après, c’est complexe !

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