L’invention du voyage (collectif) : habiter voyageusement le monde

L'invention du voyage (collectif) : habiter voyageusement le monde

Comme Ulysse, il est nécessaire parfois d’accomplir le tour du monde et de se perdre en mille folies avant de rejoindre Ithaque. Même si l’issue était au flanc de la colline d’à côté ou sur les berges du fleuve à deux pas de sa maison, il fallait ce détour, parfois au bout du monde, pour en prendre conscience. Ce lieu est toujours innombrable, car nous ne cessons de le chercher. Tout voyage participe de cette quête d’un lieu où exister se ferait en toute évidence, dans une sorte de reconnaissance immédiate. Chacun est en quête du lieu de sa renaissance au monde. On éprouve justement dans certains endroits le sentiment qu’ils nous attendaient et n’avaient pas cesser de nous hanter. Ce n’est pas une découverte mais un retour. (David Le Breton, « Rassembler les fragments épars de soi »). 

A peine revenue de voyage j’ai déjà envie de repartir, et c’est un fait certain que j’ai envie de voyager plus : pas loin, l’autre bout du monde n’est pas ce qui m’attire, mais me retrouver seule, dans une ville que je ne connais pas et où je pourrai me perdre afin de mieux me retrouver, même si elle n’est qu’à une heure de route. Il y a aussi un endroit où je voudrais aller, parce que je sais que lorsque j’y serai, j’aurai enfin trouvé ce lieu où exister. Où appartenir. En fait, cette question du voyage a toujours été importante pour moi : j’ai fait ma thèse sur la représentation des femmes dans les récits de voyage ; jusqu’à présent je croyais que le sujet essentiel dans cette histoire était bien le féminin, attendu que j’y étudiais déjà cette question du féminin sacré, de la régénération du monde par le rééquilibrage du masculin et du féminin, qui sont mes objets de réflexion centraux. Mais le voyage aussi était important : ce que trouve le voyageur lorsqu’il est loin de chez lui.

Mais peut-on voyager sans se déplacer ? Le voyage n’est-il pas, avant tout, un état d’esprit, une manière d’être-au-monde faite de confiance, d’émerveillement, de curiosité, que l’on pourrait atteindre en restant chez soi ? Anne Bécel a interrogé sur ce sujet 18 « écrivains-voyageurs » qui lui répondent soit sous forme d’entretien, soit sous forme de texte réflexif. Gilles Lapouge, Sylvain Tesson, Cédric Gras, Isabelle Autissier, Paolo Rumiz et Tristan Savin nous parlent de la beauté de l’imprévu du voyage ; Blaise Hofmann, Bernard Ollivier, David Le Breton, Olivier Bleys, Kenneth White et Gaëlle de La Brosse nous montrent la manière dont le voyage nous permet de nous rencontrer nous-mêmes ; enfin Christian Bobin, Bernard Hermann, Pierre Rabhi, Marie-Edith Laval, Alexis Jenni et Bruno Doucey nous parlent de voyages immobiles.

Le voyage, avant même d’être un déplacement géographique, serait marqué par un certain rapport au temps, à la solitude ; le fait de se perdre, de regarder les choses avec curiosité ; la désillusion heureuse : tout cela, finalement, fait du voyage une exploration intime, et il a de ce fait beaucoup de liens avec l’écriture.

Ce recueil m’a beaucoup inspirée et beaucoup fait réfléchir : j’ai souvent, il est vrai, l’impression d’être un peu une touriste dans l’existence, et la vie elle-même n’est-elle pas un voyage ? En tout cas, la plupart des textes a fait écho en moi : celui de Le Breton notamment est absolument sublime et m’a totalement illuminée ; j’ai aussi beaucoup apprécié également les textes sur la marche, et bien sûr ceux sur l’écriture, parce qu’on ne se refait pas !

L’Invention du voyage
Propos recueillis par Anne BÉCEL
Le Passeur, 2016 (Pocket, 2017)

4 commentaires

  1. Mind The Gap dit :

    Pareil, j’aurais voulu voyager plus …mais pas pour aller à l’autre bout du monde !
    Joli sujet de thèse !

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  2. Ce recueil est manifestement pour moi… J’ai toujours voyagé depuis que je suis jeune adulte, le voyage était mon leit motiv. Avant, pendant et après, il y a aussi le voyage immobile, par les livres, certaines émissions de télé, les rêves. Et puis parfois, quand on pense avoir trouvé une place, l’envie semble cesser. mais elle est toujours là, et parfois, reprend de plus belle.
    Je me souviens d’une citation : le voyage, c’est aller de soi à soi en passant par les autres.

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  3. Il y a longtemps que j’ai cessé de vous lire sur une base régulière et c’est avec plaisir que je vous retrouve.
    Votre recension de ce recueil me touche particulièrement.
    Je reconnais qu’on puisse voyager sans quitter son quartier, ou sa ville ( d’origine ou d’adoption ). J’ai toute une section de ma bibliothèque qui est consacrée aux récits de voyage, depuis celui d’Hérodote à Marco Polo, du Président des Brosses à Stendhal, de Dos Passos à Simone de Beauvoir, de Lacarrière à Bouvier et tant d’autres.
    Au cours de ma vie, j’ai eu le privilège de pouvoir beaucoup voyager, en Europe autant qu’en Amérique du nord. Depuis des mois, je voyage avec Kerouac. C’est avec l’expérience d’une vie que je le découvre. C’est comme si je ne l’avais jamais lu auparavant. D’ailleurs, cette lecture de son oeuvre m’interroge : est-ce que j’ai vraiment bien lu tous ces récits des voyageurs qui nous ont précédés ?
    Vous avez raison, la vie est un voyage. Et parfois, c’est lorsqu’on s’écarte, et qu’on se perd, qu’on se retrouve… que ce soit dans des récits de voyage, des romans, des recueils de photos, au cinéma ou sur la route, en roulant d’une ville à une autre, ou à travers l’immensité des plaines de l’Amérique du nord…
    Merci.

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