Chez soi, de Mona Chollet : une odyssée de l’espace domestique

Or, dans une époque aussi dure et désorientée, il me semble au contraire qu’il peut y avoir du sens à repartir de nos conditions concrètes d’existence ; à repartir de ces actions – à peine des actions, en réalité – et de ces plaisirs élémentaires qui nous maintiennent en contact avec notre énergie vitale : traîner, dormir, rêvasser, lire, réfléchir, créer, jouer, jouir de sa solitude ou de la compagnie de ses proches, jouir tout court, préparer et manger des plats que l’on aime. À l’écart d’un univers social saturé d’impuissance, de simulacre et d’animosité, parfois de violence, dans un monde à l’horizon bouché, la maison desserre l’étau. Elle permet de respirer, de se laisser exister, d’explorer ses désirs. Bien sûr, on pourra hurler à l’individualisme ; mais j’aime assez l’image à laquelle recourt l’architecte américain Christopher Alexander : si une personne ne dispose pas d’un territoire propre, attendre d’elle qu’elle apporte une contribution à la vie collective revient à « attendre d’un homme qui se noie qu’il en sauve un autre»

Cela fait un moment que je voulais lire cet essai : étant moi-même plutôt « casanière », attachée à mon lieu d’habitation, à la décoration, à la cuisine, le sujet évidemment m’intéressait. Mais nonobstant que même si j’ai beaucoup apprécié Sorcières : la puissance invaincue des femmes je reste méfiante envers Mona Chollet à cause de Beauté fataleje n’ai surtout jamais pris le temps de le faire.

Bon, là le temps je l’ai, et les éditions Zones, vu que l’ouvrage interroge des notions particulièrement parlantes en ces temps de confinement, l’ont mis en ligne gratuitement (ce qui m’a obligée à ressusciter mon iPad et me battre avec le wifi, mais j’ai réussi) !

Mona Chollet conçoit son essai comme une sorte de « vengeance » pour les casaniers, dont tout le monde a tendance à se moquer au profit des « voyageurs » : c’est le point de départ et le premier chapitre, cette condamnation du « rester chez soi » (sauf en ce moment) alors que le mouvement est valorisé ; dans un second temps, elle montre comment internet a changé la donne, en faisant que finalement le monde fait irruption dans notre salon ; elle étudie ensuite la question de l’espace et des inégalité sociale, puis celle du temps puisque jouir pleinement de son « chez soi » impliquerait d’être également maître de son temps (et non de voir son temps volé par le travail).

Elle se pose ensuite la question des travaux domestiques, avant d’étudier le bonheur familial et cette question centrale : habiter, oui, mais avec qui ? Enfin, elle s’intéresse à la construction en elle-même, l’architecture et la maison idéale.

Un essai qui est vraiment passionnant, et dont certaines réflexions, dans la situation actuelle, ne peuvent que frapper : tout y est.

Souvent drôle, plein d’autodérision, il est nourri de beaucoup de références, de questionnements riches et féconds, et ne peut manquer de nous obliger à réfléchir à notre propre rapport à notre espace de vie. Je l’ai dit, j’aime être chez moi, pour moi l’art d’habiter est à la fois une expression de soi, et un ancrage qui permet de pouvoir s’ouvrir au monde, mais j’ai aussi besoin de mouvement et de voyage (mais en voyage j’ai besoin de recréer un point d’ancrage, un chez moi provisoire, et c’est pourquoi je déteste les hôtels).

Du reste, les écrivains sont l’archétype du casanier, même lorsqu’ils sont voyageurs. J’ai particulièrement été intéressée par le chapitre sur le temps, qui montre comment le travail nous emprisonne et qu’il y a peut-être certaines choses à revoir.

Au final, je trouve dommage d’avoir découvert Mona Chollet avec Beauté Fatale, parce que ses autres essais, à ce que je constate, sont vraiment très intéressants, riches et instructifs. Dans celui-ci, on sent déjà en germe la réflexion sur la sorcière, et vraiment, je vous conseille d’aller le lire, il suffit de cliquer !

Chez Soi. Une Odyssée de l’espace domestique
Mona CHOLLET
Zones, 2015

19 réponses à « Chez soi, de Mona Chollet : une odyssée de l’espace domestique »

  1. Avatar de Chantal C.
    Chantal C.

    J’ai lu ce livre emprunté à la médiathèque, il y a environ 2 ans. Je ne connaissais pas l’auteur, mais c’est le thème qui m’a intéressée. Et j’ai vraiment beaucoup aimé comme vous. Ainsi que vous le dites, toutes les dimensions sont abordées dans ce livre, et c’est très intéressant.

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Oui, on apprend beaucoup de choses

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  2. Avatar de Antigone

    Merci pour ce lien, effectivement un essai très intéressant à lire en ce moment !

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Ah oui, c’est vraiment une réflexion tellement d’actualité qu’on croirait qu’elle l’a écrit hier !

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  3. Avatar de S’habituer ? – Cultur'elle

    […] le confinement est un challenge ! Evidemment, un challenge bien moindre pour les introvertis et les casaniers, qui tiennent peut-être là une revanche sur leurs contemporains moqueurs, mais enfin, à part […]

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  4. Avatar de La poétique de l’espace, de Gaston Bachelard : phénoménologie de l’intime – Cultur'elle

    […] dû lire l’introduction. Or il se trouve que dans son essai sur l’espace domestique, Mona Chollet fait souvent référence à Gaston Bachelard et à ce livre en particulier : ni une ni deux, je […]

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  5. Avatar de Mumu dans le bocage

    J’avais demandé à ma bibliothèque avant le confinement de le faire venir par le système du réseau….. Et maintenant je dois attendre…. car comme toi je suis une casanière qui vit très bien cette situation, qui a du mal à sortir de sa grotte et qui se sent parfois incomprise des autres qui n’imagine pas le plaisir que l’on a à être chez soi…… Le confinement actuel ne change pas grand chose à ma vie mais j’ai hâte qu’il se termine en autre pour récupérer ce livre 🙂

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Moi j’ai quand même envie de faire des choses ^^

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      1. Avatar de Mumu dans le bocage

        Oh mais je suis très active chez moi……. 🙂

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        1. Avatar de Caroline Doudet

          Moi aussi, mais je voudrais aussi faire des choses dehors !

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  6. Avatar de keisha41
    keisha41

    Casanière je suis, mais pas quand j’y suis obligée (cf confinement) Tu me fais craindre d’être déçue par Beauté fatale!

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Je n’ai pas aimé Beauté Fatale, mais après je suis spécialiste du sujet, ça change mon approche je pense !

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  7. Avatar de L’âme des maisons, de François Vigouroux : histoires d’habiter – Cultur'elle

    […] n’avez donc pas fini d’entendre parler du sujet) (sachant que j’avais déjà lu Mona Chollet lors du confinement), et c’est celui-là qui s’est imposé en premier : L’âme […]

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  8. Avatar de Chez soi, de Perla Serfaty-Garzon : les territoires de l’intimité – Cultur'elle

    […] part du constat que s’il n’y a en apparence rien de plus simple que le « chez soi« , il n’y a pourtant rien de plus complexe. Après s’être interrogée sur […]

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  9. Avatar de Réinventer l’amour, de Mona Chollet : une révolution permanente – Cultur'elle

    […] Parce que, si j’ai profondément apprécié Sorcières. La puissance invaincue des femmes et Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique j’ai détesté Beauté Fatale, qui était justement sur un sujet que je maîtrise bien […]

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  10. Avatar de S’habituer ? – Caroline Doudet

    […] un challenge bien moindre pour les introvertis et les casaniers, qui tiennent peut-être là une revanche sur leurs contemporains moqueurs, mais enfin, à part […]

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  11. Avatar de La poétique de l’espace, de Gaston Bachelard : phénoménologie de l’intime – Caroline Doudet

    […] dû lire l’introduction. Or il se trouve que dans son essai sur l’espace domestique, Mona Chollet fait souvent référence à Gaston Bachelard et à ce livre en particulier : ni une ni deux, je […]

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  12. Avatar de L’âme des maisons, de François Vigouroux : histoires d’habiter – Caroline Doudet

    […] n’avez donc pas fini d’entendre parler du sujet) (sachant que j’avais déjà lu Mona Chollet lors du confinement), et c’est celui-là qui s’est imposé en premier : L’âme […]

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  13. Avatar de Réinventer l’amour, de Mona Chollet : une révolution permanente – Caroline Doudet

    […] Parce que, si j’ai profondément apprécié Sorcières. La puissance invaincue des femmes et Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique j’ai détesté Beauté Fatale, qui était justement sur un sujet que je maîtrise bien […]

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