V13, d’Emmanuel Carrère : le rideau déchiré

La demi-heure sera peut-être une heure, les six mois sont en train de devenir un an, et je ne dois pas être seul aujourd’hui à me demander pourquoi je me prépare à passer un an de ma vie enfermé dans une salle d’audience géante avec un masque sur le visage, cinq jours par semaine, en me réveillant à l’aube pour mettre au propre mes notes de la veille avant qu’elles soient devenues illisibles — ce qui veut clairement dire ne penser à rien d’autre et n’avoir, pendant un an, plus de vie. Pourquoi ? Pourquoi m’infliger ça ? Pourquoi avoir proposé à L’Obs cette chronique au long cours ? Si j’étais avocat, ou n’importe quel acteur dans le grand appareil de la justice, bien sûr : je ferais mon métier. Pareil si j’étais journaliste. Mais écrivain à qui personne n’a rien demandé et qui, comme disent les psychanalystes, ne s’autorise que de son désir ? Drôle de désir.

Drôle d’idée, en effet, pour un écrivain, que de passer un an de sa vie à suivre un procès. Mais quel procès : celui des attentats du 13 novembre, celui que tout le monde attend et qui a quelque chose d’historique. Alors, c’est ce que fait Emmanuel Carrère : il suit le procès, jour après jour, et en fait une chronique hebdomadaire dans L’Obs, chroniques que nous retrouvons ici (parfois un peu augmentées) dans un volume que je n’ai lu que parce qu’Emmanuel Carrère en était l’auteur.

Alors, bien sûr, émotionnellement, c’est très dur, et j’ai beaucoup pleuré. C’est un ouvrage bouleversant. Mais, avant tout, profondément humain car Carrère sait poser les mots. Un grand écrivain, un des meilleurs, et il a ce sens de l’écriture, du détail qui fait sens, et cette grande intelligence qui lui permet des analyses passionnantes, des ponts. Une curiosité qui le pousse à creuser, à chercher, ce qui rend ce texte souvent, aussi, très instructif. Et cet humour sarcastique qui parfois fait comme un ballon d’oxygène.

Un ouvrage fort, très fort, qui permet de suivre le procès de l’intérieur, même s’il reste beaucoup de zones d’ombres, et que, fondamentalement, on ne peut pas comprendre.

V13. Chronique judiciaire (lien affilié)
Emmanuel CARRERE
POL, 2022

8 réponses à « V13, d’Emmanuel Carrère : le rideau déchiré »

  1. Avatar de ugetse

    Merci Caroline pour ce partage, je note.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Caroline Doudet
      1. Avatar de Philisine Cave
        Philisine Cave

        J’ai aimé le dernier de Sorj Chalandon qui mène un parallèle entre le procès Barbie et le récit plus ou moins romancé du parcours de son père. J’ai l’impression que V13 suit le même principe (le père en moins).

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        1. Avatar de Caroline Doudet

          Là il n’y a que le procès !

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  2. Avatar de Matatoune

    Il m’attend ! Je le lirai c’est sûr !

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  3. Avatar de Miss Zen

    J’avais lu chacun de ses articles dans le Nouvel Obs et j’avais été à la fois bouleversée par l’émotion et par le talent d’écriture. J’ai d’ailleurs acheté le livre.

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Il a rallongé certains articles mais tu vas y retrouver ce que tu as déjà lu !

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