Subitement, l’idée d’un réel danger se dressait entre nous. Je vis un mur ancien et gris, impalpable, transparent mais compact, c’était une frontière, une palissade dressée contre les balles, tout était noir autour, pas de fils barbelés. Cet homme allait me servir de moi mais jusqu’où ? J’eus la lucidité de comprendre que mon dévouement nous tuerait un jour, me dévasterait, me casserait. Ce n’était pas hors de sa portée, il savait, ça se voyait. Ce préambule, ma cour d’amour. Le stock d’histoires, en avoir ou pas, le sien, épuisé, plus qu’une solution : se servir de celui des autres, piller, entourlouper.
Je ne sais pas si vous avez lu Eva, de Simon Liberati. Moi, oui, et ce texte m’avait profondément touchée et éblouie. Je m’étais dit que c’était beau, deux êtres éclopés qui se trouvent, et terrassent ensemble leurs ombres pour faire jaillir la lumière.
Visiblement, je me suis encore une fois laissé avoir par ma vision romantique du monde, et l’amour qui sauve de tout. Avec ce texte, Eva Ionesco vient nous donner à la fois sa propre version de l’histoire, et son épilogue tragique, et elle est très différente.
Le récit va de la rencontre entre les deux écrivains (même s’ils s’étaient déjà croisé avant) à leur séparation violente.
Je n’ai pas pris beaucoup de plaisir à lire ce récit pourtant nécessaire : ce n’est pas du tout un mauvais livre même si l’écriture manque parfois de force, mais je l’ai trouvé oppressant, et glauque — ce qui est d’ailleurs parfaitement à l’image de la relation et en cela, Eva Ionesco atteint son but, nous faire ressentir pleinement ce qu’elle a vécu. Et ce qu’elle a vécu, c’est une descente aux enfers.
Il y a des couples de lumière. Et il y a des couples infernaux, qui révèlent le pire de chacun : on en a un bon exemple ici. Dès le départ, la relation est marquée par l’abus et, pour être honnête, un nombre très conséquent de drapeaux rouge écarlate, annonçant la violence (il y a des scènes qui sont proprement hallucinantes).
Deux écrivains dans un couple, c’est un de trop : il n’y a bien que Paul et Siri qui y parviennent, mais parce qu’ils ne travaillent pas la même matière, ils ne marchent pas sur les mêmes plates-bandes et puis ils s’aiment et donc se respectent.
Je ne crois pas qu’il y ait d’amour, ici. De la passion, peut-être, mais de l’amour, j’en doute. Ici, on a deux artistes qui travaillent le même réel, et au lieu de créer une émulation, cela les détruit : l’une accepte de se faire dévorer pour être aimée, l’autre a besoin de dévorer, cherche une muse, pas une femme. Je crois aussi que, malheureusement, l’un est plus doué que l’autre.
Le cocktail est parfait pour une tragédie. La création artistique, ici, devient toxique : elle est à la fois le fondement malsain de leur relation, et ce qui finit par les détruire, aidée il est vrai par les failles nombreuses des deux individus. L’un plus toxique et dangereux que l’autre, il est vrai. Parce que cette histoire, c’est avant tout celle d’une femme poussée à bout par la violence d’un homme qui n’a rien du grand amoureux qu’il a tenté de paraître.
En fait, je pense tout simplement que ce n’était pas le genre de lecture dont j’avais besoin en ce moment.
La bague au doigt (lien affilié)
Eva IONESCO
Robert Laffont, 2023









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