Je me demandais si nous étions vivants, ou juste deux esprits errant dans une ville inconnue. Personne n’avait l’air de remarquer notre présence, comme si nous étions invisibles tous les deux. Des courants d’airs engloutis dans une métropole sur le point d’imploser. Etait-ce donc cela que nous avions désiré plus que tout ? Nous nous en voulions, l’un et l’autre, d’avoir fait triompher notre lâcheté. Notre inconstance. Nous sommes identiques : des etres dénués de force morale.
Nouvelle excursion en Italie avec ce roman de Marie Modiano, que je découvre à l’occasion, et qui nous emmène à Capri.
Un couple est en fuite vers Capri. Que fuient-ils ? Quelle était leur vie ? Qui sont-ils ? Eux-mêmes ne s’en souviennent plus. Mais ils sont visiblement attendus, pour une étrange soirée où se croisent fantômes et êtres étranges…
Ce qui frappe d’emblée dans ce roman, c’est sa poésie : onirique et étonnant, sensuel et envoûtant, il est l’incarnation même de cette inquiétante étrangeté du rêve où rien n’est comme dans la vie éveillée et pourtant y ressemble. C’est un voyage vers soi, dans lequel il faut se défaire de tout (ils n’ont pas de bagages), traversé par le motif de l’Odyssée. La lumineuse Capri ne serait-elle pas l’île des lotophages ? Ou bien Shakespeare, et le Songe d’une nuit d’été ?
Pour tout dire, il ne se passe pas grand chose dans ce récit, et le lecteur comme les personnages erre à la recherche du sens perdu, d’une réalité tangible, d’une clé. Mais il s’en dégage beaucoup de charme : tissé de paroles de chansons, de motifs récurrents, de références littéraires et mythologiques, il n’a qu’un défaut, toujours le même : nous donner une envie irrésistible de Capri, de saveurs et d’odeurs sauvages, de lumière éblouissante et de soirées languissantes.
Bref, une vraie découverte : j’ai été très sensible à la poésie et à l’onirisme de ce récit, qui parle aussi d’amour, servi par la jolie plume de Marie Modiano, et je me suis laissé emporter dans ses méandres avec beaucoup de plaisir.
L’Île Intérieure
Marie MODIANO
Robert Laffont, 2024









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