Comme dans un roman d’été, d’Emily Henry

J’ai une faille fatale.
Je me plais à penser que nous en avons tous une. Ou du moins, ça me facilite la tâche quand j’écris. De construire mes personnages autour d’un trait autodestructeur, d’articuler tout ce qui leur arrive autour d’une caractéristique spécifique. De la chose qu’ils ont appris à faire et dont ils ne parviennent pas à se débarrasser, même quand elle cesse de leur être utile.

Lorsque je suis tombée par hasard sur ce roman, je me suis dit qu’une petite comédie romantique estivale entre deux écrivains, c’était exactement ce dont j’avais besoin en cette période de rentrée morose. Mais là où j’attendais un roman léger et mignon (et, par certains côtés, il l’est), je me suis retrouvée à lire quelque chose qui m’a percutée de plein fouet et m’a plongée dans des abymes de questionnements existentiels sur l’écriture, les genres littéraires et la vision du monde que chacun porte en soi, les blessures et comment on y fait face. Et donné envie d’une cabane au bord d’un lac.

January Andrews écrit des comédies romantiques. Augustus Everett, lui, est un écrivain sérieux. Ils se sont croisés à l’Université et participaient au même programme d’écriture où ils étaient rivaux, ont été dans le même classement des Best-sellers du New-York Times, et les voilà voisins de cabane pour l’été. Ils se lancent alors un défi : avant la fin du mois d’août, elle devra avoir écrit un roman sérieux, et lui une comédie romantique, et pour faciliter les choses, chacun invite l’autre dans son processus de création habituel : le vendredi soir, il l’emmène rencontrer des gens dont l’existence a été brisée par une secte, et le samedi soir, ils font une activité romantique.

Alors bien sûr, si l’on s’arrête à la trame narrative stricte, nous avons-là un joli roman sentimental, dans lequel deux être abîmés par la vie découvrent le pouvoir réparateur de l’amour. Mais cela va plus loin, car le roman est surtout porteur d’une très intéressante réflexion sur l’écriture et ce que c’est qu’être écrivain. Et qui fait un sort à la hiérarchie des genres.

Ce qui distingue January et Augustus, ce ne sont pas leurs qualités d’écriture : tous deux savent écrire, très bien, ils savent créer des personnages et leur donner une histoire. Ce n’est pas, non plus, leur vie : tous deux ont des blessures profondes, sont abîmés par la vie, pour des raisons différentes mais qui aboutissent à un résultat similaire. Non, ce qui les distingue, c’est la manière dont ils explorent leurs blessures, dont ils les transforment, et ce qu’ils en font : le processus, on le voit tout au long du roman, est finalement le même, mais mené de manière différente. Ce qui les distingue aussi, c’est bien sûr que January est une femme, et que ses romans sont d’emblée traités comme quelque chose qui n’a pas de valeur :

Ecoute, Gus, je sais construire une phrase et je sais raconter une histoire. Si on remplaçait toutes mes Jessica par des John, tu sais ce qu’on obtiendrait ? Des romans. Juste des romans. Prêts à être lus par n’importe qui. Mais va savoir pourquoi, le fait d’être une femme qui écrit des livres sur des femmes me prive de la moitié de mes lecteurs potentiels. Et tu sais quoi ? Je n’ai pas honte. J’ai les boules. Que des gens comme toi présument que mes livres ne peuvent pas être dignes d’eux

Ce qui est en jeu ici, c’est aussi une question de vision du monde, tragique chez Gus, alors que January, elle, veut toujours donner du sens au laid, et amplifier le beau, elle veut rendre le monde plus lumineux. Evidemment, cet affrontement n’a pas été sans me rappeler Tout écrivain doit avoir le cœur brisé, et j’ai même eu de nouvelles idées, mais ce sera pour une prochaine fois vu que je ne peux pas le récrire, par contre cela m’a donné des idées pour un autre roman. Bref, ici, cette polarisation est médiatisée par l’amour naissant : chacun invite l’autre dans son processus créatif, lui offre sa vision de l’existence, et si cela ne change pas totalement leurs tendances (January ne peut pas écrire un roman déprimant, ni Gus une histoire qui finit bien), cela les infléchit un peu.

Et au final, ce roman est un mélange des deux : c’est une comédie romantique, oui, mais une comédie romantique qui explore les abîmes de l’être.

Comme dans un roman d’été (lien affilié)
Emily HENRY
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Le Bot
Le Cherche-Midi, 2021 (Pocket, 2022)

3 réponses à « Comme dans un roman d’été, d’Emily Henry »

  1. Avatar de cora85

    Je prends note, merci !

    Je te souhaite une bonne rentrée !

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      1. Avatar de cora85

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