Pour terminer cette série d’articles sur la créativité, examinons en quoi cette créativité peut être une source de croissance personnelle. Selon moi, le flux fonctionne dans les deux sens : la créativité est souvent conçue comme un outil de développement personnel, voire un outil thérapeutique. Mais je pense que cela va plus loin car je me suis rendu compte que si la créativité m’a permis d’évoluer dans ma vie, d’apprendre à mieux me connaître, savoir qui j’étais et l’assumer pleinement, savoir dans quel monde je voulais vivre et contribuer (ce qui est l’objectif de ce qu’on appelle le « développement personnel »), certains outils du développement personnel m’ont permis aussi de développer ma créativité.
La créativité, et c’est ma croyance fondamentale aujourd’hui, n’est pas seulement un passe-temps ou un loisir pour les uns et un métier pour les autres : c’est un style de vie. Elle imprègne tous les aspects du quotidien, de l’existence. C’est ce que j’appelle « habiter poétiquement le monde » : une manière d’être, une manière de considérer les choses, d’être attentif et disponible à ce qui nous entoure.
La créativité : savoir qui nous sommes et le montrer
Tout le travail de ce qu’on appelle la psychologie des profondeurs, initiée par le psychiatre Carl Gustav Jung, l’inventeur finalement du développement personnel, est ce qu’il appelle « l’individuation » : redevenir un être entier, soi, et pour cela intégrer toutes les facettes de notre personnalité, qui parfois vont dans des directions différentes. Le moi conscient veut quelque chose, l’inconscient autre chose. Il est donc nécessaire de les faire dialoguer : par l’analyse des rêves, par l’attention aux synchronicités, par l’imagination et la création artistique, qui nous donnent accès à une connaissance de nous-même qui permet l’individuation.
En créant tous les jours, en portant attention à ce qui nous nourrit et suscite chez nous des émotions, quelles qu’elles soient, nous accédons au plus profond : comme avec les rêves, notre inconscient déjoue le censeur en nous pour dire ce qui lui importe vraiment, sous une forme symbolique. Créer tous les jours nous permet de découvrir ce qui nous touche, notre sujet essentiel ou notre problématique du moment : la pratique quotidienne, notamment de l’écriture mais pas seulement, permet d’aller plus profond en soi et de se prendre un peu par surprise, de trouver des choses enfouies et des thèmes récurrents. Ou des scènes qui nous reviennent un jour à l’occasion d’un sujet et qu’on avait oubliée.
Je vous propose donc de reprendre votre journal poétique, et de voir ce qui revient : certains thèmes, certaines pensées, certaines formes. Il se peut que ce soit évident, ou moins. Il se peut que ce soit un sujet essentiel, ou plus simplement un point à traiter. Par exemple, peu après le confinement, je me suis rendu compte que je ne cessais de peindre des formes rondes ou courbes. Je ne faisais presque que ça, jusqu’à l’obsession :

En analysant j’ai tout de suite compris qu’il était question de sécurité. De protection. Se construire une bulle dans laquelle on est à l’abri : le rond est sécurisant. Enveloppant. Et, à ce moment-là, j’avais besoin de quelque chose de sécurisant, une bulle qui me protégeait tout en me permettant d’avancer. La période était particulière évidemment : le masque était obligatoire partout même en promenade à l’extérieur, or pour certaines raisons le masque m’a toujours fait sentir en insécurité et suscitait des crises d’angoisse. D’où la nécessité pour moi de rester chez moi, dans mon cocon.
C’est un exemple, mais l’essentiel est de comprendre qu’à partir du moment où vous créez, qu’une idée vous vient, votre inconscient vous parle car il a quelque chose à vous dire. Et ce qu’il a à vous dire est très important. Notez donc ce qui revient, et faites-le régulièrement.
Créer permet donc d’accéder à son soi profond et authentique, et de le montrer. Bien sûr, montrer ce qu’on crée, si l’on n’est pas un créateur professionnel, n’a rien d’obligatoire, et il y a bien des manières de le faire : vous pouvez le montrer seulement à votre entourage, publier sur un groupe privé, publier sur les réseaux sociaux où tout le monde pourra le voir (même si tout le monde ne le verra pas). Ce n’est pas obligatoire, et si on choisit de montrer ce qu’on fait, on n’est pas obligé de tout montrer.
Il y a des résistances : on n’est que rarement pleinement satisfait de ce qu’on fait, et si on l’est, on a peur justement que les autres n’aiment pas, voire se montrent critiques. Et là est la clé : accepter de prendre le risque de se montrer vulnérable est un grand pas vers d’une part l’acceptation de soi, et d’autre part la guérison de la blessure de rejet que nous avons tous à des degrés divers, nous en avons parlé avec l’enfant intérieur. Les deux vont de pair : prendre le risque d’être rejeté c’est affirmer qui on est et s’affranchir du jugement des autres. C’est le premier pas qui est le plus dur.
Vibrer plus haut
Si la créativité est aussi importante dans la croissance personnelle, c’est aussi parce qu’elle provoque une multitude d’émotions positives — la joie, notamment, et l’émerveillement, la gratitude, l’amour, et permet de canaliser les émotions négatives — la peur, la colère (que de fois écrire m’a permis d’éviter de partir en combustion spontanée à cause de ma colère).
En somme, créer permet de vibrer plus haut. Pour faire court, la vibration, c’est l’énergie que vous émettez, et que les autres perçoivent inconsciemment, ce qui fait qu’ils ont envie de venir vers vous ou non : parfois on ne peut pas expliquer rationnellement pourquoi avec certaines personnes on se sent hyper mal alors qu’elles ne nous ont rien fait. Et bien c’est ça : leurs vibrations. Idem lorsque nous sommes bien avec quelqu’un (je ne parle pas ici seulement d’alchimie amoureuse). Et le fait de fréquenter quelqu’un dont les vibrations sont élevées, non seulement c’est agréable, mais nous aide nous-même à élever les nôtres. La créativité nous aide à vibrer plus haut en nous ramenant dans la joie, dans ce qui nous fait plaisir, dans ce qui est aligné avec la personne que nous sommes.
Souvent (ou du moins parfois), en créant, on entre dans cet état merveilleux d’unité qu’on appelle état de flow. Le flow est l’état mental dans lequel nous nous trouvons lorsque nous sommes totalement plongés dans une activité, pleinement concentrés, engagés dans ce que nous faisons, pleinement satisfaits de le faire. Absorbés par notre occupation. Et il s’en dégage de la joie, voire un sentiment d’extase. Celui d’être parfaitement à sa place, parfaitement dans ce que l’on doit faire, parfaitement bien. Comme des enfants qui jouent. Quand on est exactement où on doit être, à faire ce que l’on doit faire. Dans ces moments-là, tout semble couler harmonieusement, comme si l’on était porté par le courant d’une rivière : les gestes se font comme dans un ballet chorégraphié, tout est clair, sans heurts, comme si on était un morceau de musique. Et on perd la notion du temps, concentré sur le moment présent. On n’a plus faim, on oublie tous les problèmes. On est calme, euphorique, et on a le sentiment que rien ne peut nous résister, comme si on était doté de pouvoirs magiques.
Mon expérience la plus frappante (pas la seule, mais celle qui m’a vraiment marquée) est bien sûr liée à l’écriture : un après-midi d’hiver, j’étais concentrée sur je-ne-sais-plus quel texte. J’écrivais, j’écrivais, et à un moment je suis sortie de mon « monde » pour me rendre compte qu’il neigeait et qu’il y avait déjà une petite couche blanche. Sachant que mon bureau était devant la fenêtre, on voit que j’étais très concentrée.
Je vous propose donc, à titre de conclusion, de prendre votre journal poétique et de réfléchir à cet état de flow et aux vibrations hautes : quand le ressentez-vous ? Qu’est-ce que cela vous fait ? Vous pouvez aussi, en complément, représenter ce flow par des images, des couleurs…
Et je vous laisse sur cette citation de Clarissa Pinkola Estes, qui dit bien tout ce que la créativité met de merveilleux dans notre vie :
L’art est important. Il marque les commémorations des raisons de l’âme ou d’un événement particulier, quelquefois tragique, du voyage de l’âme. L’art n’est pas seulement destiné à soi-même, il n’est pas seulement un jalon sur la route de la compréhension de soi, c’est aussi une carte destinée à montrer la route à celles qui viendront après nous. […] Poser les questions, raconter des histoires, travailler de ses mains : tout cela participe de la création de quelque chose et ce quelque chose, c’est l’âme. A chaque fois que nous nourrissons l’âme, il est sûr qu’elle va croître.









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