Peut-on encore être galant ? de Jennifer Tamas

Défendue par les romantiques déçus et anxieux que l’amour ne disparaisse, la galanterie ferait pour d’autres le jeu des hommes en essentialisant les rapports hétérosexuels sous un vernis trompeur. Le galant n’est-il pas le prototype du « vieil homme blanc hétérosexuel » qui déplore la grandeur d’une France obsolète ? Sous le raffinement et l’apparente soumission à la femme se cacherait une plus pernicieuse forme de domination masculine. De nombreux classiques de la littérature sont d’ailleurs accusés depuis #MeToo de nourrir des scripts misogynes.

Je l’avoue : en tant que féministe en carton parfaitement assumée, je reste très attachée à ce qu’on appelle aujourd’hui la galanterie. J’aime qu’on me tienne la porte ou un parapluie, qu’on me fasse des compliments et qu’on m’aide à porter les trucs lourds, voire que l’on m’invite au restaurant. Et je n’ai pas du tout l’impression, en acceptant ces actes de galanterie, d’entériner le fait que je suis une faible femme incapable de se débrouiller toute seule : je sais me débrouiller toute seule mais j’ai parfois envie de jouer à ne pas en être capable, et qu’en face on joue le chevalier servant. J’ai dû être princesse dans une autre vie. Et si je n’ai pas du tout envie que la galanterie disparaisse, c’est justement que je trouve que, hypocrite ou non, gratuite ou pleine d’arrière-pensées, la galanterie apporte un peu plus de douceur et de politesse aux relations interpersonnelles.

Mais ce n’est pas tout à fait de cette galanterie, telle qu’on la conçoit aujourd’hui, que traite ce petit essai de Jennifer Tamas : cherchant à répondre à la question de savoir si la galanterie est rétrograde ou au contraire émancipatrice, l’autrice remonte à l’apparition de cette forme d’interaction au XVIIe siècle, et à la manière dont elle reconfigure les rapports de genre et de pouvoir. Véritable révolution civilisationnelle basée sur l’idéal d’honnêteté et de respect, la galanterie promeut la mixité et le brouillage des frontières entre le masculin et le féminin. Elle permet surtout aux femmes de sortir du silence, de promouvoir leurs idées et leurs œuvres et d’intervenir dans le discours amoureux : de purs objets de désir, elles deviennent des sujets aimants et aimés, s’affirment comme êtres autonomes, dans le même temps que les hommes deviennent tendres, et cherchent à plaire par le discours :

La douceur, la tendresse, tout comme le raffinement, ne sont plus des valeurs exclusivement féminines. La galanterie trouble le genre.

Madeleine de Scudéry, notamment, si mal connue aujourd’hui tant elle a été caricaturée, a « révolutionné l’amour« . Si une « femme galante » aujourd’hui, c’est une courtisane, ce n’était pas l’idée au départ : il s’agissait d’une femme exceptionnelle par sa sagesse, ses aptitudes, ses capacités, son art de vivre et sa manière de s’exprimer. Elle aime, veut être aimée, mais cet amour n’est pas une passion asservissante : le sentiment amoureux s’exprime et s’analyse et ne se subit plus. L’homme qui aime doit plaire par son discours et par ses actes, ce qui reconfigure le lien amoureux et le place d’ailleurs en dehors du mariage, conçu comme un esclavage. Et en dehors de tout lien charnel.

Ce n’est que plus tard, prise dans le prisme masculin, que la galanterie se fixe dans autre chose, qui sert les intérêts des hommes, avec le romantisme notamment, où la femme est mise sur un piédestal et privée de parole. La galanterie devient alors un instrument de séduction, au service du libertinage. Et c’est bien cette galanterie là que condamnent ceux qui y voient un instrument d’oppression.

Si on peut encore être galant aujourd’hui, c’est en redonnant à la galanterie ses lettres de noblesse originelles, tout en l’adaptant au contexte actuel :

Au lieu de sexualiser la galanterie, il faut galantiser le sexe pour le rendre plus ludique, plus respectueux et plus joyeux.

J’ai trouvé ce court (une cinquantaine de pages) essai passionnant, stimulant et nourrissant. La seule chose que je lui reprocherais, c’est un manque de rigueur dans la construction, qui fait que certains développements m’ont semblé parfois manquer de clarté, mais je le recommande tout de même pour réfléchir à la question.

Peut-on encore être galant ? (lien affilié)
Jennifer TAMAS
Seuil Libelle, 2024

5 réponses à « Peut-on encore être galant ? de Jennifer Tamas »

  1. Avatar de lizagrece
    lizagrece

    La galanterie est souvent et simplement de la bonne éducation

    Aimé par 1 personne

  2. Avatar de georges
    georges

    Melle l’Irrégulière bonsoir
    J’ai lu avec intérêt votre commentaire au sujet du livre de Jennifer TAMAS « peut on être galant, à une époque il y a quelques années en arrière, j’étais romantique et galant mais les femmes que j’ai aimé m’ont rendu différent concernant leur comportement.
    Depuis longtemps, je ne suis plus romantique et j’ai perdu ma galanterie à 90% dû à l’attitude de certaines femmes qui sont devenues féministes devant les hommes galants.
    Cordialement Georges

    Aimé par 1 personne

  3. Avatar de La conversation amoureuse, d’Alice Ferney – Caroline Doudet

    […] cette pulsion de vie qui nous entraîne malgré nous, la circulation du désir, la séduction, la galanterie, et peut-être finalement l’amour qui naît et se […]

    J’aime

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