Comment se fait-il que l’on ait plusieurs vies ? Peut-être ai-je tendance à généraliser. Peut-être suis-je la seule à éprouver ce sentiment. Je ne mourrai qu’une fois et pourtant, au cours du temps qui m’aura été imparti, j’aurai vécu une série d’existences contiguës et distinctes.
Je n’étais pas la même personne à trente ans. J’étais un être tout à fait particulier à huit ans. Je considère mon adolescence comme autonome en regard de la suite. La femme que je suis aujourd’hui est déracinée, détachée, incompréhensiblement solitaire. Je fus très entourée. Je fus très sociable. Je fus timide. Je fus réservée. Je fus raisonnable. Je fus folle.
Je ne m’explique pas pourquoi je n’avais jusqu’à présent jamais lu Agnès Desarthe, alors qu’a priori ce qu’elle écrit a tout pour me plaire, sinon pour la simple raison qu’on ne peut pas tout lire. Mais un de mes sujets d’intérêts actuels est la nourriture, toujours dans mon exploration de la sensorialité et de la sensualité, et ce roman me semblait tout à fait susceptible de nourrir (!) mes réflexions. Et en effet, il l’était.
Après des expériences tumultueuses qu’elle nous racontera plus tard, la narratrice, Myriam, vient d’ouvrir un restaurant. Un tout petit restaurant, qui lui sert aussi de logement, qui n’a même pas d’enseigne, et qu’elle a baptisé « chez moi ». Après des débuts difficiles, le restaurant, d’un coup de baguette magique prénommée Ben, l’endroit devient la cantine de tout le quartier.
Un roman aux allures de fable et même d’utopie, dans lequel il s’agit plus que de cuisine : il s’agit de réparer les gens, et de semer un peu de joie et de bonheur dans le monde. Pour tout dire, j’ai un petit peu de mal à entrer dedans : il me plaisait, mais pas plus que ça et je progressais lentement, voire je passais plusieurs jours sans l’ouvrir, jusqu’à un tournant, vers le premier quart je dirais, et je ne l’ai ensuite plus lâché et je l’ai dévoré, pour rester dans la métaphore nourricière.
Cela tient sans doute à l’écriture magnifique, sensuelle et poétique d’Agnès Desarthe : elle parle de nourriture, de cuisine, de plats d’exception, mais elle nous parle surtout de désir, d’amour et de jouissance. Par le biais d’une narratrice assez étonnante : attachante par son anticonformisme et sa marginalité, on comprend vite que Myriam n’a pas eu une vie facile, et qu’un événement est venu tout bouleverser, évènement dont elle est à la fois coupable et victime, et qui ne nous est dévoilé que progressivement, assez progressivement pour que, lorsqu’il nous est entièrement révélé, il soit trop tard, et qu’on ne la juge pas. C’est en tout cas ce qui s’est passé pour moi : malgré mes réserves concernant ses actes, je n’ai pu m’empêcher de lui garder mon affection jusqu’au bout.
Ma seule réserve concerne le personnage de Ben, sorte de bon génie qui apparaît un beau jour pour sauver Myriam du désastre économique. Et j’aurais aimé que certains mystères le concernant soient levés. Mais peut-être que le fait qu’on ne sache pas tout le concernant concourt à la magie qui se dégage de ce roman, qui fut une très belle expérience de lecture, et que je conseille absolument !
Mangez-moi (lien affilié)
Agnès DESARTHE
L’Olivier, 2006 (Points Seuil, 2007)









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