La flamme double : amour et érotisme, d’Octavio Paz

Le feu originel et primordial, la sexualité, lève la flamme rouge de l’érotisme et celle-ci, à son tour, soutient et exalte une autre flamme, bleue et tremblante : celle de l’amour. Erotisme et amour : la flamme double de la vie.

Dans l’Intelligence érotique, Esther Perel met en exergue cette citation, et en la lisant, non seulement j’ai été subjuguée par sa beauté, mais aussi j’ai été titillée par l’envie de me replonger dans les écrits d’Octavio Paz, dont l’Arc et la lyre m’avait émerveillée lorsque j’étais en khâgne. Envie d’autant plus forte que la poésie, l’érotisme et l’amour, ce sont mes sujets.

Cet essai, Octavio Paz le veut comme une « lettre de créance », c’est-à-dire une lettre qui propose la déclaration de ses croyances, sur le sujet qui l’a occupé toute sa vie : l’exploration du sentiment amoureux et de la poésie.

Son point de départ est alors cette relation entre l’érotisme et la poésie, et ce point commun, celui de la transfiguration. L’érotisme est une poésie corporelle, et la poésie une érotique verbale. Et de la même manière que l’érotisme suspend la finalité de la fonction sexuelle, celle de la reproduction, et c’est ce qui distingue l’homme des animaux, la poésie suspend la finalité du langage, la communication. Poésie et érotisme ont donc en commun de trouver leur fin en eux-mêmes.

Quant à l’amour, il apparaît avec le mythe d’Eros et Psyché et l’individualisation du désir : c’est une personne unique, en ce qu’elle est à la fois corps et âme, qui nous attire. Tous les peuples, toutes les civilisations ont des poèmes, des chants, des légendes, des contes qui parlent d’amour, de la rencontre de deux êtres, de leur attirance, et de leurs peines pour s’unir. Le sentiment amoureux est universel, mais ce qui intéresse Octavio Paz, c’est comment ce sentiment se transforme en idéologie. Et si l’amour comme sentiment est universel, les idéologies qui sont ses fruits ne le sont pas.

La première philosophie de l’amour, on la trouve chez Platon, dans Le Banquet, avec notamment deux textes essentiels : le discours d’Aristophane qui raconte le mythe de l’androgyne, mythe qui résonne encore en nous et a ancré l’idée que le désir amoureux est désir de complétude, et le discours de Socrate, qui fait de l’amour une quête de beauté. Paz reviendra à plusieurs reprises sur le platonisme. La réflexion se poursuit ensuite à travers la poésie antique.

Mais ce que remarque Octavio Paz, c’est que si le monde Antique propose bien une réflexion sur l’amour et sur le fait qu’il répond à une nécessité profonde chez l’homme, il lui manque encore une doctrine de l’amour, c’est-à-dire un ensemble d’idées, de pratiques et de conduites adoptées et partagées par une collectivité. C’est une telle doctrine qui apparaît en France au XIIe siècle avec l’amour courtois ou fin’amor, qu’il analyse en s’éloignant du fameux essai de Denis de Rougement L’Amour et l’Occident. Paz revient alors sur une idée qu’il avait déjà évoquée plus haut, à savoir que l’amour en occident est un culte qui se fait en dehors des religions, voire en opposition à elles, et nombreuses sont les raisons pour lesquelles les autorités condamnent l’amour courtois : son attitude face au mariage, vu comme un joug injuste qui fait de la femme une esclave, et la sacralisation de l’amour en dehors de celui-ci ; l’union charnelle détournée de la reproduction ; l’élévation de la femme qui devient maîtresse de son corps et de son âme ; l’idolâtrie : la créature est aimée à l’égale d’une divinité.

Quoiqu’il en soit de ces condamnations, l’amour est tout puissant, et la courtoisie féconde le reste de l’Europe, se transformant en idéal de vie. L’amour et ses métamorphoses devient le sujet presque exclusif de la littérature et de la poésie. Mais si l’amour se métamorphose au fil des siècles, certaines de ses modalités demeurent : l’exclusivité, l’obstacle et la transgression, la domination et la soumission, la fatalité et la liberté. Malgré les siècles, notre idée de l’amour ne se transforme pas tant que ça. Et heureusement :

Le déclin de notre image de l’amour serait une catastrophe plus grande que l’effondrement de nos systèmes économiques et politiques : ce serait la fin de notre civilisation. C’est-à-dire de notre manière de sentir et de vivre.

Or, justement, Octavio Paz voit dans le présent une « crise de l’amour ». Son contexte est particulier puisqu’il écrit son essai en 1993, mais ce qu’il note c’est le crépuscule de l’image de l’amour au profit de l’argent, de la publicité, de la pornographie, et la place de plus en plus grande de la technologie : il est donc essentiel de s’interroger sur la place de l’amour dans le monde actuel, et de le replacer au centre de notre civilisation.

Cet essai m’a absolument éblouie : intelligent, très clair, nourrissant, il a fait naître chez moi de nombreuses réflexions que j’aborderai dans la prochaine Escale Amoureuse : L’Amour est-il subversif ? Abonnez-vous pour la recevoir !

La flamme double : Amour et érotisme (lien affilié)
Octavio PAZ
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Claude Esteban
Gallimard, 1993

Une réponse à « La flamme double : amour et érotisme, d’Octavio Paz »

  1. Avatar de Mon amour et mon cœur lui donne,Mon âme, mes yeux, et ma vie – Caroline Doudet

    […] ce moment, certaines recherches me portent vers l’amour courtois et les troubadours, et en particulier les trobaïritz, les femmes troubadours, dont on parle somme […]

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