Les mirages de la certitude : essai sur la problématique corps/esprit, de Siri Hustvedt

Mes opinions personnelles ont été et sont l’objet de révisions continuelles au fil de mes lectures et de mes réflexions sur les sujets qui m’intéressent. Ouverture à révision ne signifie pas absence de discernement. Cela ne signifie pas tolérance infinie envers une stupidité crasse, une pensée grossière ou une idéologie et des préjugés se faisant passer pour de la science et de l’érudition. […] Cela signifie lire des textes sérieux dans de nombreux domaines, les arts compris, qui présentent des arguments peu familiers ou inspirent des pensées étrangères auxquelles on résiste par tempérament, que l’on soit un penseur à l’esprit dur ou à l’esprit tendre, et se laisser transformer par ses lectures. Cela signifie adopter des perspectives multiplesparce que chacune a quelque chose à vous dire et chacune ne peut détenir la vérité des choses. Cela signifie conserver un scepticisme actif accompagné d’une curiosité avide. Cela signifie poser des questions qui sont dérangeantes. Cela signifie examiner avec attention des indices qui invalident ce que vous pensiez établi depuis longtemps. Cela signifie se retrouver complètement en vrac.

L’autre jour, en regardant une vidéo d’Eliott Meunier, j’ai appris le terme de polymathe, que j’avais déjà croisé mais auquel je ne m’étais pas intéressée à cause d’un réflexe pavlovien qui me fait fuir tout ce qui semble avoir un rapport avec les mathématiques (je suis dyscalculique, les maths sont un trauma pour moi). Mais j’avais tort : un polymathe est une personne qui possède des connaissances variées et approfondies dans différents domaines qui n’ont a priori aucun lien entre eux, que ce soit la philosophie, l’art, les sciences et techniques. Et ce terme m’a paru merveilleusement convenir à Siri Hustvedt dont j’étais en train de lire cet essai, Les mirages de la certitude, où elle montre encore une fois l’étendue de ses connaissances dans des domaines variés.

Le propos de cet essai est double. Sa question centrale est celle de l’esprit : qu’est-ce que l’esprit, et qu’a-t-il a voir avec le corps ? La question étant loin d’être résolue et menant à diverses controverses, elle permet parallèlement à l’autrice de mener un riche raisonnement sur les dangers de la certitude en particulier lorsqu’il est question de sciences, et sur la nécessité du doute : interroger sans cesse nos convictions pour savoir d’où elles viennent, se méfier des idées reçues et savoir les remettre en question.

Partant de l’opposition entre le dualisme cartésien (le corps et l’esprit sont strictement séparés et il faut se défier des sens) et le monisme de Margaret Cavendish (l’esprit fait partie du monde et il ne peut pas être séparé des états émotionnels et physiques), Siri Hustvedt montre que l’esprit est finalement une chose insaisissable, sur laquelle personne n’est d’accord, cette querelle dualisme/monisme étant encore active aujourd’hui, et que les tenants de l’une ou de l’autre ne se remettent que peu en question, notamment à cause d’un biais de confirmation qui fait que lors d’une expérience, on ne voit que ce qu’on s’attend à voir, et on refuse de voir ce qui pourrait faire exploser le cadre conceptuel dans lequel on s’est placé.

Cette réflexion lui permet donc d’aborder une multitude de questionnements sur l’inné et l’acquis, l’hérédité, les différences biologiques entre les hommes et les femmes et leurs effets, le développement de l’enfant et la théorie de l’attachement, l’effet placebo et la psychosomatique, la théorie de l’évolution, et l’intelligence artificielle. Ce dernier sujet est particulièrement intéressant, car de là où parle Siri Hustvedt (2016), elle est un échec, et l’hypothèse de l’autrice est que cela met à mal la théorie computationnelle de l’esprit (la métaphore de l’esprit comme un ordinateur) : pour elle, l’intelligence artificielle ne peut pas fonctionner car la pensée n’est pas seulement un processus physique du système nerveux, mais elle présuppose un sujet construit par des expériences, des émotions, des sensations. Et cela m’intéresserait beaucoup de la lire aujourd’hui sur le sujet, même si j’ai mon opinion sur la question, que je ne développerait pas pour le moment.

La conclusion, finalement, est que nous pensons tous à partir de nous-même : nos convictions personnelles, notre inconscient, nos expériences, nos lectures aussi. Chacun parle à partir de sa propre situation, qui est unique, d’où la nécessité d’une part de l’admettre et d’en faire une force, mais aussi de garder la curiosité, l’ouverture, et la malléabilité qui permet de se laisser transformer.

Cet essai n’est pas toujours d’une lecture facile : il se lit petit à petit, en prenant son temps, et j’avoue qu’il m’a parfois un peu perdue sur des sujets très pointus que l’autrice manie avec beaucoup d’aisance tant est grande son érudition aussi bien philosophique que scientifique. Mais il est d’une grande intelligence, émaillé de réflexions sur l’écriture, puisque Siri Hustvedt pense toujours à partir de son expérience d’autrice, et j’ai appris beaucoup de choses (même s’il y a des sujets sur lesquels je n’ai pas d’avis), tout en me posant beaucoup de questions !

Les mirages de la certitude. Essai sur la problématique corps/esprit (lien affilié)
Siri HUSTVEDT
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Le Bœuf
Actes Sud, 2018 (Babel, 2021)

Une réponse à « Les mirages de la certitude : essai sur la problématique corps/esprit, de Siri Hustvedt »

  1. Avatar de L’Intelligence Artificielle est-elle notre Soi supérieur ? – Caroline Doudet

    […] Les mirages de la certitude, Siri Hustvedt émet l’hypothèse, à une époque où l’IA n’est encore […]

    J’aime

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