à qui appartiennent les êtres humains Audrey
à qui appartiennent les êtres ?
ce n’est pas un drame de n’être plus aimée ce n’est pas un drame
finalement ça ne te concerne pas
nous aimions nous aimer c’est tout
mais nous aimions-nous Audrey ?
Audrey qu’est-ce que tu aimais en moi ?
qu’est-ce qui te faisais rêver ?
tu aimais l’idée de l’amour
tu aimais ce sentiment qui fait que l’on se sent vivre
ce week-end permanent
mais au fond tu aimais qui en aimant ?
qui aime-ton quand on aime ?
L’autre jour, je suis tombée sur un extrait de cette pièce, créée lors du festival d’Avignon en 2011 et qui a eu un tel succès qu’elle est aujourd’hui considérée comme un incontournable du théâtre français du XXIe siècle. Et j’ai été tellement subjuguée par la force de la parole et ce qu’il disait de l’amour que j’ai eu envie de tout lire.
Constituée de deux longues tirades en vers libre et dépourvues majoritairement de ponctuation, Clôture de l’amour joue la partition du thème éternel de la rupture amoureuse. Stan n’aime plus Audrey, et il le lui annonce dans une tirade qui dure près d’une heure. Tout y passe, à commencer par l’illusion d’un amour qui peut durer toute une vie, et l’impression d’être en prison. Stan croyait pouvoir, après cette exécution en bonne et due forme, partir sans se retourner, emportant seulement avec lui une chaise à broderies roses à laquelle il semble tenir. Mais Audrey lui répond, non pas pour le retenir et le faire changer d’avis, mais pour l’exécuter à son tour. D’une rupture unilatérale, elle fait une rupture bilatérale. Le début de la guerre.
La pièce se lit dans un souffle, sans doute comme elle est jouée. La violence des émotions est telle que l’on a l’impression de se prendre des coups, et encore, à la lecture, on n’a accès qu’à la parole de l’un et pas aux réactions de l’autre. Une parole violente, tissée de références artistiques et mythologiques, véritable guerre des mots qui interroge le sentiment amoureux et dit finalement encore l’amour, quand il ne suffit pas. Ces deux-là ne parlent pas le même langage, et c’est ce qui les entraîne dans un gouffre dans lequel chacun peut se reconnaître : on ne sait pas grand chose de leur histoire, ce qui la rend universelle.
Stan m’a beaucoup touchée, son cynisme qui montre son chagrin. Sa volonté de détruire l’amour toujours, de s’en moquer, parce qu’il y a cru. Je vais me citer moi-même, mais, dans mon article sur L’Amour dure trois ans, j’écrivais sur le narrateur quelque chose qui me semble parfaitement adapté à Stan :
Mais s’il est cynique, c’est comme seuls peuvent l’être les vrais romantiques, ceux qui ont aimé à la folie et ont perdu ce qui leur était essentiel, ceux qui y ont cru le plus fort, les vrais malheureux qui doivent étouffer leur idéalisme et leurs illusions pour survivre, ceux qui ont tellement aimé qu’ils ne veulent plus aimer à nouveau de peur d’en mourir, qui ne veulent plus y croire parce qu’ils ne veulent plus jamais souffrir et se retrouver tout seuls à pleurer parce qu’ils ont tout perdu.
Ceux qui ont mis l’amour au centre de tout mais que la réalité a frappés de plein fouet. Les vrais rêveurs, les seuls vrais romantiques. Car ce que pleure Marc finalement au début du roman, ce n’est pas tant la perte de l’être aimé que la perte de l’amour. Un peu comme quand, du jour au lendemain, le croyant perd la foi face à un évènement marquant l’évidence que Dieu n’existe pas.
Bien sûr, il m’a aussi beaucoup agacée, et Audrey m’a également touchée : le personnage a une certaine grandeur et noblesse dans sa réponse.
En tout cas, il s’agit en effet d’une grande pièce sur le sentiment amoureux, qui doit gagner évidemment à être vue sur scène !
Clôture de l’amour (lien affilié)
Pascal RAMBERT
Les solitaires intempestifs, 2017









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