Ces hommes-là n’estiment les femmes que lorsque leur plastique est à leur goût. Quant à celles capables de nuire à leur virilité, ils se moquent d’elles, ou mieux encore, s’en débarrassent. […] Une femme s’emportant contre les infidélités de son mari, internée au même titre qu’une va-nus-pieds exposant son pubs aux passants ; une quarantenaire s’affichant au bras d’un jeune homme de vingt ans son cadet, internée pour débauche, en même temps qu’une jeune veuve, internée par sa belle-mère, car trop mélancolique depuis la mort de son époux. Un dépotoir pour toutes celles nuisant à ‘ordre public. Un asile pour toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables d’avoir une opinion.
Malgré son succès et le bien que j’en avais entendu, je n’avais pas eu envie de lire ce roman à sa sortie, je ne saurais trop expliquer pour quoi. Mais dernièrement, j’ai dû m’y intéresser pour des raisons professionnelles, au moment-même où je terminais Mon vrai nom est Elisabeth d’Adèle Yon, les deux textes se faisant bizarrement écho et me donnant un sujet de réflexion : celui de la folie, un terme bien pratique pour emmurer vivantes les femmes qui ne correspondent pas à ce qu’on attend d’elles, et les exposer comme des bêtes de foire.
Le roman se déroule à Paris, en 1885. A la Salpêtrière, Charcot dirige le service des dites hystériques et attire la curiosité malsaine d’un public avide de sensations fortes. Ce sont les cours où il exhibe ses patientes comme on exhibe les animaux du jardin d’acclimatation voisin, et induit de spectaculaires crises à l’aide de l’hypnose ; c’est le bal des folles, événement mondain qui attire le tout-Paris. Dans le service sont internées Louise, qui a été violée par son oncle, ou encore Eugénie, un esprit rebelle qui se trouve en outre être medium et dont la famille bourgeoise s’est débarrassées. Toute vivent sous la conduite de Geneviève, une infirmière vouant un culte à Charcot.
Encore une fois, ce roman m’a fait vibrionner de colère – au-delà de la fiction, tout est vrai et notamment la manière dont, pendant si longtemps, on a appelé hystériques celles qu’en d’autres temps on aurait accusées d’être possédées par le Diable. Progrès notable : on ne les brûle plus sur le bûcher, on les enferme. La société les enferme pour ce qu’elle a elle-même provoqué, et c’est même devenu une menace : si tu ne te comportes pas correctement, tu iras à la Salpêtrière. Au lieu d’enfermer le violeur, on enferme la victime traumatisée, Louise, par exemple. Ou celle qui communique avec les défunts, encore que ce ne soit qu’un prétexte car Eugénie a surtout le défaut de vouloir une vie à elle plutôt que de se marier et d’avoir des enfants. Toutes ces femmes, leur destin brisé, leurs souffrances, la manière dont on les traite, que ce soit Louise et Eugénie ou les autres figures en arrière-plan, qui forment une sorte de communauté féminine à l’écart du monde, m’ont profondément touchée.
Quant à Geneviève, son parcours m’a beaucoup intéressée : elle incarne celle qui ne veut pas voir, et que l’Univers force à ouvrir les yeux. Et je trouve cela très beau.
Le Bal des folles est un très beau roman, bien écrit et accessible à tous, et qui permet de réfléchir, encore une fois, à ce que cachent nos arbres généalogiques. Je pense regarder le film assez vite.
Le Bal des folles (lien affilié)
Victoria MAS
Albin Michel, 2019 (Livre de poche, 2021)









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