Quand je n’aurais plus d’histoire à raconter sur moi-même, j’en écrirais qui étaient arrivées à des gens que je connaissais, et quand cette source aussi serait tarie, passant aux événements historiques, je rapporterais les folies de mes frères humains à travers les âges, des civilisations disparues d’autrefois aux premiers mois du XXIe siècle. A tout le moins, je pensais que cela pourrait donner à rire. Je n’avais nul désir de mettre mon âme à nu ni de me laisser aller à une introspection morose. Le ton serait léger et drôle de bout en bout, et mon seul but consistait à me distraire tout en occupant autant d’heures que je pourrais de mes journées.
Il me reste encore quelques romans de Paul Auster à découvrir. Peu, mais il en reste, et pour ne pas gâcher trop vite mon plaisir, j’ai décidé de laisser le hasard, thème austerien par excellence, les laisser venir à moi. Je ne les cherche pas, surtout je ne les commande pas : je les laisse me trouver et c’est comme ça que, peu avant l’été, je suis tombée sur celui-ci à Emmaüs (et j’en ai récemment déniché un autre). J’ai donc cette année encore pu respecter la tradition commencée il y a plus de dix ans à Londres : emporter Paul Auster avec moi en voyage. Je l’ai donc commencé à Dubrovnik, et terminé dans mon hamac sur le Bassin d’Arcachon.
Le narrateur, Nathan Glass, a perdu tout désir pour la vie, et se prépare à mourir dans l’appartement de Brooklyn où il vient d’emménager. L’observation de ses contemporains lui donne l’envie d’un nouveau projet, un livre d’anecdotes intitulé Le livre de la folie humaine. Mais la rencontre de son neveu adoré qu’il avait perdu de vue dans une librairie, lui-même pas au zénith de sa vie, et l’arrivée d’une petite fille dont ils doivent s’occuper, le sauve de l’ennui, et lui redonne le goût de vivre, et d’aimer.
Une drôle d’expérience que cette lecture, car elle semble émaillée de prémonitions. Mais le plus important, c’est qu’il s’agit d’un roman qui fait vraiment un bien fou, et que l’on pourrait même qualifier de feel good novel tant on s’y sent bien : les personnages sont plus attachants les uns que les autres, à commencer par Nathan, même s’il peut paraître un peu agaçant au début ; les situation, même graves, finissent par se résoudre, et le fil rouge ne pouvait que me toucher infiniment : la quête de l’amour et du bonheur, de la douceur de vivre, même lorsqu’on n’y croit plus du tout et qu’on s’est résigné à une existence terne.
J’ai lu ce roman avec un sourire accroché au visage : parfois drôle, il est surtout d’une profonde tendresse pour la vie et pour les gens, résolument optimiste, plein de bons sentiments peut-être mais cela n’est pas grave : un peu de douceur, cela fait du bien, et je n’ai pas boudé mon plaisir, même si celui-ci était mêlé d’une pointe de mélancolie parce que Paul Auster n’écrira plus jamais de roman. Mais il m’en reste quelques uns, promesses de grands bonheurs de lecture (et je ne pense pas que j’attende l’été prochain pour me plonger dans le suivant).
Brooklyn Follies (lien affilié)
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Christine Le Bœuf
Actes Sud, 2005









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