L’autre jour, pour ma carte de la semaine, j’ai tiré le trois d’épées, la carte du chagrin et du cœur blessé.
Je me suis dit, légèrement inquiète : « qu’est-ce qui va me tomber dessus ?« , tout en sachant que ça ne pouvait, de toute façon, pas être très grave, n’ayant pas d’amoureux en ce moment.
Ce que j’ai tendance à oublier, c’est que dans ce tirage que je fais le dimanche soir, les cartes négatives ont plutôt tendance à indiquer non pas un malheur (sinon il m’en arriverait souvent) mais une difficulté à dépasser. Et s’il peut effectivement annoncer la dévastation, le trois d’épées peut aussi indiquer la possibilité de reconquérir, de se réapproprier son pouvoir, et en l’occurrence, dans mon cas, de regarder autrement le passé.
J’ai déjà écrit que l’adolescence était une période sur laquelle je n’aimais pas revenir, car c’est une période où mes relations avec les autres étaient très compliquées, beaucoup de rejet et même de harcèlement, une solitude non pas positive mais négative, et ayant au début de l’âge adulte ouvert les yeux sur les véritables sentiments à mon égard de celle que je tenais pour ma meilleure amie, le chagrin avait fini par tout coloniser. Comme l’écrit Edouard Louis au début de En finir avec Eddy Bellegueule,
Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître.
Toute mesure gardée évidemment, ce que j’ai vécu n’a rien à voir avec ce qu’il raconte, c’était aussi ce que je vivais : mon adolescence était dans une boîte, et je n’avais pas envie d’y penser, car alors ne remontaient que des souvenirs négatifs en soi, ou empoisonnés par la présence de cette personne et donc entachés de malhonnêteté. Lorsque j’avais suivi la masterclass de Géraldine Dormoy « Ecrire sur son adolescence« , qui faisait suite à la parution de son récit L’Âge bête, j’avais rapidement refermé le dossier, parce que cela ne m’intéressait pas de fouiller.
Or, en cette année de Roue de Fortune, beaucoup de choses ont changé. J’avoue que ce n’est pas sur ce terrain que j’attendais les changements, mais enfin, ce n’est pas moi qui décide et c’est très bien aussi : mes relations aux autres ont été bouleversées. Je n’ai plus (que très peu) d’anxiété sociale, je me lie plus facilement, j’accepte les invitations, je prends plaisir à passer du temps avec des gens qui ne sont pas des amis proches et j’accepte de nouvelles personnes dans mon premier cercle. Je n’ai plus cette impression tenace et désagréable que même les gens qui me parlent gentiment en fait ne m’aiment pas et vont me planter un couteau dans le coeur à la première occasion.
J’ai confiance dans le fait que, la plupart du temps, ma présence est réellement appréciée, ce qui fait que lorsqu’elle ne l’est pas, cela ne me blesse plus. Parce que j’ai confiance dans le fait d’être aimée et appréciée, j’accepte aussi de ne pas l’être par tout le monde.
Et c’est comme ça que, le surlendemain du tirage, mais sans y penser consciemment, des souvenirs heureux sont revenus. Les mêmes événements, mais avec un autre regard, et j’ai éprouvé une bouffée de nostalgie, heureuse, douce. Même mes relations amoureuses, à travers ce filtre, m’ont paru plus joyeuses. Il y avait du beau.
On peut souvent raconter une même histoire en la transformant en tragédie ou en comédie : c’est une question de point de vue, et de sens qu’on donne aux choses. J’ai eu toute ma vie tendance à voir le tragique, et peut-être que j’ai, parfois, surinterprété certains événements, certaines attitudes. Parfois, je me suis sentie rejetée là où je ne l’étais pas. Peut-être aussi que ma peur d’être blessée a engendré certains comportements, qui étaient de l’incompréhension et non de la méchanceté.
J’ai l’impression qu’une porte est désormais ouverte, apportant une grande bouffée d’air frais. J’ai reconquis mon récit. Bien sûr, il reste des souvenirs pénibles, l’adolescence n’est pas une période facile, mais ils ne sont plus tout le récit.









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