Nommer mes émotions m’aide à ne pas me laisser submerger. Je me dédouble. Je me vois. J’en arrive à prendre mentalement des notes au moment où il m’arrive quelque chose. J’écris au ras des événements. Tout devient motif à écriture. Mes interrogations sont une matière première à malaxer. Une fois sur le papier, elles m’oppressent moins. Je les tiens en joue.
Malgré toute l’affection que j’ai pour Géraldine Dormoy, je n’avais jamais voulu lire ce livre. Le sujet m’angoisse, je n’avais pas envie de me tyranniser. Qu’est-ce qui a changé, alors ? Rien, juste une coïncidence : je suis tombée l’autre jour, dans ma fameuse solderie, sur une pile d’exemplaires, et mon intuition m’a dit d’y aller, que c’était le moment.
Et elle a eu raison, car le cancer n’est pas le sujet essentiel de ce mémoire : il en est le contexte, le déclencheur. Il est la carte de la tour qui vient faire tout s’écrouler, afin de reconstruire sur de nouvelles bases.
Ce qui est en jeu ici, c’est la métamorphose. Comment le cancer, en tout cas ce cancer-là qui n’était « pas trop grave », en tant qu’expérience qui nous dépasse, accélère l’évolution, obligeant à se défaire de ce qui n’est pas essentiel. Et voir les choses autrement.
Lorsqu’on lui apprend qu’elle a un cancer du sein, le premier réflexe de Géraldine est d’ouvrir une note dans son téléphone, et d’écrire ce qui la traverse. Ecrire pour mettre à distance, documenter afin de se souvenir de ses différents états, consciente qu’il y aura un avant et un après. Cette expérience bouscule tout : son rapport à sa féminité, son couple (même si Mark est d’un grand soutien), la maternité, son rapport à la nourriture, et bien sûr son travail. Chaque jour est l’occasion de s’interroger, de creuser, parfois dans le passé, pour mettre au jour ce qui a besoin de l’être. Se transformer, y compris spirituellement : Géraldine se met au yoga, à la méditation, et au flot de pensée qui est aujourd’hui un de ses sujets de prédilection.
Chaque jour, elle est animée par la volonté d’embrasser cette expérience et d’y trouver du sens.
Et le sens, c’est l’écriture, qui a longtemps été chez elle une envie profonde qu’elle ne s’autorisait pas pleinement. L’expérience du cancer, dont elle raconte les différentes étapes, au jour le jour ou presque, lui donne accès à elle-même, lui permet de mieux se connaître, et elle comprend finalement où est sa place d’écrivaine. Elle utilise à un moment la métaphore de la grossesse, et c’est bien ce qui s’est produit. Le cancer lui a permis d’accoucher de l’autrice qu’elle portait en elle.
Peu importe que je n’invente rien : j’ose espérer que coller à la réalité rendra mon propos suffisamment universel pour toucher des lecteurs, comme c’est déjà le cas avec ma newsletter.
Et, de fait, Géraldine est très forte pour faire de son histoire quelque chose qui résonne, parce qu’elle voit tout, même le cancer, comme une expérience qui lui permet d’apprendre sur elle-même, de se connaître dans d’autres circonstances, de s’interroger, et il est évident que son témoignage aide, a aidé, aidera celles qui traversent cette épreuve.
De mon côté, j’ai vécu cette lecture de manière assez particulière, et pas seulement parce que j’ai finalement réussi à en mettre de côté le sujet de départ pour n’y voir que la question de l’écriture et de la transformation. Dès que j’ai ouvert le livre, j’ai été saisie par la synchronicité temporelle et presque existentielle. A quelques jours près, en novembre 2017, Géraldine et moi avons ouvert un fichier dans lequel nous avons ensuite écrit tous les jours, conscientes que nous vivions une expérience qui allait nous transformer.
Ce n’est pas la même expérience : moi, ce que j’ai voulu documenter, c’est la déflagration amoureuse, son bouleversement, la manière dont elle nous transforme. Ce que l’amour nous fait, en temps réel : c’est ce livre en plusieurs tomes que vous lirez je l’espère un jour et qui s’appelle L’Amour, le couteau (mais que je continue d’appeler, affectueusement, Le Truc). Et en fait, j’ai eu l’impression que si le déclencheur lui-même était complètement différent, le sens (à nouveau la carte de la Tour), le processus et la transformation étaient assez similaires. Avec des points d’étapes où je me souviens exactement de ce que j’ai fait ce jour précis dont elle parle.
Une lecture particulière pour moi donc, pour cette raison, et j’ai compris grâce à un rêve pourquoi je ne l’avais pas lu plus tôt : ce n’était pas le moment. Reste que j’ai apprécié cette lecture, pleine de délicatesse et de sensibilité, et que je la conseille à tout le monde, même ceux que le sujet du cancer angoisse.
Un cancer pas si grave (lien affilié)
Géraldine DORMOY
Leduc.s, 2019









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