Les Sorcières de la République, de Chloé Delaume

2017, la peur, la précarité, la colère. Le besoin d’avenir qui fait tout accepter, le storytelling qui acquiert un statut institutionnel. Les changements qui s’opèrent par pactes de lecture, la lassitude qui mène à la curiosité. La percée du Parti du Cercle et son ascension fulgurante. Réseau radicalement antiphallocratique, il se revendiquait d’Héra, exigeait que les pouvoirs fussent tous rendus aux femmes, et les sources de leur oppression enfin neutralisées. Le monothéisme en faisait partie. Le Parti du Cercle, pour certains : un remède à l’islamisation, efficace en périphérie. Une secte dite d’intérêt public, qui prônait la sororité, l’autonomie orgasmique et les enseignements du Nouveau Commencement. Une cellule d’activistes pagano-féministes, qui pratiquaient la magie à des fins politiques. Et dont la candidate a récolté sans peine les cinq cents signatures d’élus nécessaires à l’investiture.

J’avais noté ce roman depuis sa parution, vu le sujet, vous pensez bien : moi qui pense fermement que la sorcière est l’icône féministe ultime ! Mais je n’avais pas dû le noter assez gros, et il était un peu passé à la trappe. L’autre jour, piqûre de rappel : Chloé Delaume est passée à la Grande Librairie, elle m’a enchantée, et dès le lendemain j’ai acheté le roman et l’ai commencé, attablée au Flore.

2017. Elisabeth Ambrose, du parti du Cercle, formation pagano-féministe, arrive au pouvoir, portée par l’espoir de changer la société, éradiquer le patriarcat et les monothéismes, et rendre leur pouvoir au femme. Mais trois ans plus tard, 98% des électeurs votent l’amnésie collective : toutes les archives sont détruites, et un sort d’oubli est jeté sur tout le monde.

C’est le « grand blanc », qui cause de graves traumatismes. Alors, en 2062, le Président de la République décide qu’il est temps de savoir enfin ce qui s’est passé durant ces trois années. La Sibylle, arrêtée, doit répondre de ses actes au cours d’un grand procès…

Absolument fascinant et porté par une voix originale qu’on croirait véritablement être celle de la Sibylle, ce roman interroge notre société et ses ressorts, mais sur un mode mi-désinvolte mi-burlesque. Tout l’enjeu est de montrer comment une utopie, éminemment séduisante tout en restant assez fantaisiste dans les faits (Chloé Delaume fait preuve d’une inventivité assez folle) et grandement iconoclaste, peut se transformer en cauchemar.

C’est un livre très politique, qui s’appuie sur une grande culture à la fois populaire et canonique, et grâce au dialogisme, pose des questions fondamentales : le rôle du monothéisme patriarcal dans l’oppression des femmes (ça ce n’est plus à prouver) mais aussi plus généralement dans la catastrophe à laquelle nous arrivons, mais aussi les différentes pensées féministes.

Et c’est ce qui est le plus intéressant : le roman est féministe, mais un féminisme suffisamment ouvert pour que tout le monde s’y retrouve, les différents discours comme ceux ceux de Judith Butler sont mis en perspective, discutés, interrogés, débattus.

Chloé Delaume met en scène les déesses de l’Olympe et chacune, finalement, incarne une manière d’être femme et d’être féministe, sans culpabilisation, et malgré ces différences elles parviennent à s’unir : c’est bien cela qui manque au féminisme actuel pour réussir politiquement et changer le monde.

Bon, après ça tourne mal, mais la société qui sort de tout ça est dans un premier temps plus que séduisante. En tout cas, je vote pour !

Un roman très sérieux dans ses questionnements, mais en même temps follement drôle (les échanges d’emails entre Artémis et J.C ou encore les débats entre les déesses sont des moments d’anthologie) et même jouissif : je le conseille sans réserves. A tout le monde. Pour moi c’est un coup de cœur !

Le Nouveau Commencement, c’est maintenant !

Les Sorcières de la République (lien affilié)
Chloé DELAUME
Seuil, 2016