Ce qu’il advint du sauvage blanc, de François Garde

Une histoire vraie

Ces détails, monsieur le Président, pour vous convaincre des mérites de ce garçon. Il n’est certes pas imbécile, j’en suis désormais tout à fait certain. Il n’apprend pas notre langue comme le ferait un nourrisson ou un étranger : il la retrouve en lui. Il redécouvre ce qu’il a toujours su, puis oublié sur des plages australiennes. Je ne sais pas trop quelles conclusions en tirer. Le cas est si singulier que j’ai voulu le consigner de mon mieux. Des savants pourront construire des théories, je leur livre, par votre intermédiaire, le fait brut. 

Ce roman est fondé sur une histoire vraie. Au milieu du XIXème siècle, le jeune matelot Narcisse Pelletier, qui s’est éloigné du groupe de marins descendu à terre pour chercher de l’eau, est abandonné sur une plage sauvage d’Australie.

Il est recueilli par une tribu d’autochtones, et pour survivre, il doit s’adapter à sa nouvelle vie, loin de celle qu’il connaissait jusque-là.

Dix-sept ans plus tard, il est retrouvé par hasard par des Anglais : nu, tatoué, il ne sait plus ni parler d’autre langue que celle des « sauvages », ni même son nom. Il est confié au géographe Octave de Vallombrun, qui va tenter de le réadapter à la civilisation européenne.

Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage

Quelle excellente surprise que ce roman qui, pour un premier, est une véritable réussite ! Sur un sujet qui n’est, a priori, pas plus original que ça, l’auteur nous entraîne dans une histoire anthropologiquement passionnante.

Car ce roman est très loin d’être une robinsonnade de plus, non seulement parce que le héros n’est pas un naufragé, mais surtout parce que là où Robinson met toute son énergie à garder le contrôle et à organiser sa vie selon les codes de la civilisation dont il est issu, Narcisse, lui, va devoir abdiquer cette volonté pour survivre.

Le style du roman, vif, nerveux, sans fioriture inutile, donne toute sa force à une construction narrative particulièrement intéressante puisqu’elle met en regard d’un côté, dans un récit à la première personne, la progressive intégration de Narcisse à la tribu et la perte progressive (même si on ne va pas au bout) de son polissage civilisationnel, et de l’autre, dans les lettres d’Octave adressées au Président de la Société de Géographie, son réapprentissage des codes.

Les deux modes de vie sont étroitement liés par ce va-et-vient dans l’esprit du lecteur, qui ne peut que s’interroger sur la relativité même de la notion de civilisation.

Que vaut-il mieux ? La liberté (notamment sexuelle) des « sauvages » ou le carcan parfois hypocrite de la civilisation ?

Certaines scènes sont, sur ce sujet, particulièrement drôles et touchantes à la fois. On sent évidemment poindre, de manière implicite, le fameux « mythe du bon sauvage » en germe chez Montaigne et particulièrement évident au XVIIIème : on ne peut s’empêcher de penser à Diderot et au Supplément au voyage de Bougainville qui fait l’éloge d’une loi naturelle supérieure aux lois civiles et religieuses, et Octave fait lui-même référence à Bougainville et à Aotourou dans une de ses lettres.

D’ailleurs, on remarquera que les dits « sauvages » accueillent parmi eux le jeune garçon, le nourrissent, l’intègrent à la tribu, et quand on pense au sort réservé aux tribus découvertes par les dits « civilisés », ça laisse rêveur. Mais comme dit Montaigne, « Chacun appelle Barbarie…« .

Outre cette question anthropologique, le roman pose avec beaucoup d’habileté (et d’originalité) un problème qui semble-t-il est à la mode actuellement : celle de l’identité et de la mémoire/amnésie. Et les résultats de l’enquête de Vallombrun sont finalement très éclairants à ce sujet, mais pour les connaître, il vous faudra lire le roman…

Bref, un roman brillant, que je vous recommande chaudement tant il m’a enchantée !

Ce qu’il advint du sauvage blanc (lien affilié)
François GARDE
Gallimard, 2012