Twin Peaks (la série), de Mark Frost et David Lynch

Through the darkness of future past
The magician longs to see
One chants out between two worlds
Fire walk with me.
I’ll catch you with my death bag.
You may think I’ve gone insane, but
I promise I will kill again!

C’est 25 après tout le monde (et pour une fois il ne s’agit pas d’une hyperbole) que j’ai enfin vu cette série mythique. Il faut dire qu’à l’époque, j’étais un peu trop jeune pour la voir, et qu’ensuite je n’en avais guère eu l’occasion. Alors même que j’ai, et de manière fort illogique (mais ce n’est guère étonnant de ma part) vu le film il y a deux ans. Mais là ça devenait urgent, puisque la saison 3 est annoncée incessamment sous peu. Saison donc que les fans attendent depuis 25 ans, comme cela était annoncé dans le dernier épisode de la saison 2.

Bref.

A Twin Peaks, petite ville de 51201 habitants près de la frontière canadienne, le corps de la jeune Laura Palmer est retrouvé au bord d’un lac, enveloppé dans du plastique. L’agent Dale Cooper, du FBI, est chargé de l’enquête, et ses méthodes peuvent sembler quelque peu étranges, mais pas plus qu’un bon nombre des habitants d’une ville où tout le monde semble avoir quelque chose à se reprocher

Une série très déstabilisante, qui à la fois a révolutionné les séries télévisées et reste assez unique en son genre (même si on peut y retrouver certains aspects dans quelque chose comme Les Revenants). 

En fait, on se rend assez vite compte que la quête du meurtrier n’est pas l’essentiel (surtout quand comme moi on a vu le film et qu’on le connaît déjà) et d’ailleurs, la question est réglée au milieu de la saison 2.

Non, ce qui importe, c’est l’ambiance, la manière dont les personnages sont construits et notamment leurs zones d’ombres, les relations qui se tissent entre eux : ça serait presque de l’anthropologie, n’était le côté lynchien de l’affaire, à savoir quelque chose d’à la fois envoûtant, hypnotique, onirique voire hallucinatoire — hermétique et incompréhensible diront les mauvaises langues, mais c’est ce qui fait la magie de Lynch : l’ensemble est excellemment filmé, chaque plan fait sens, et l’ensemble est une forêt de symboles à déchiffrer. Comme un rêve, en somme.

Peuplée de personnages mythiques — la femme à la bûche, le Nain, le Géant, Bob, et j’en passe — la série nous mène aux confins de l’inconscient, servie par la musique extraordinaire d’Angelo Badalamenti. Finalement, c’est une bonne chose de ne pas l’avoir vue trop jeune : avec mon imagination fertile, je ne sais pas trop ce qui se serait tricoté dans mon esprit.

En tout cas, cette série proprement fascinante est à voir absolument pour ceux qui comme moi seraient passé à côté — et à revoir pour les autres, histoire de se mettre à jour.

Twin Peaks
Mark FROST et David LYNCH
1990-1991

Twin Peaks – Fire walk with me, de David Lynch

C’était un rêve, et nous vivons dans un rêve.

Voilà donc le film que je regardais vendredi soir, toujours dans mon programme sur le rêveFire walk with me est en fait la préquelle de la série télévisée Twin Peaks et raconte les sept derniers jours de Laura Palmer, la jeune femme dont le corps est découvert dans le Pilote.

Il paraît qu’il vaut mieux avoir vu la série avant pour ne pas passer à côté de certains détails. Ce n’est pas mon cas (j’étais trop jeune) et de fait, nous sommes chez David Lynch, donc on passe toujours à côté de certains détails.

Le corps d’une jeune femme, Teresa Banks, est découvert enveloppé de plastique et flottant sur l’eau dans la petite ville a priori tranquille de Twin Peaks. L’affaire laisse les enquêteurs perplexes, mais l’agent Dale Cooper, suite à un rêve, est persuadé qu’un autre meurtre aura bientôt lieu. Un an plus tard, la jeune Laura Palmer est assaillie de cauchemars.

Les films de David Lynch sont comme des rêves ; lorsqu’on se réveille, on n’a pas tout compris, mais une fois qu’on accepte ce présupposé, c’est un émerveillement.

Ici, chaque détail est important et rien n’est laissé au hasard : chaque plan est minutieusement composé comme un tableautout fait sens, en particulier les objets, qui font le lien entre le rêve et la réalité, si tant est qu’on puisse appeler quelque chose réalité : la bague, le collier, les roses, le tableau.

Heureusement, le réalisateur nous laisse des indices : l’une des premières scènes, avec la danseuse étrange (présentée par le personnage joué par Lynch) est programmatique : chacun de ses gestes, chacun des détails de sa tenue est un message à décoder, comme dans un rêve, univers dont Lynch parvient parfaitement à rendre l’étrangeté, avec les paroles sibyllines de personnages monstrueux qui sont presque des prophéties, les tours que joue l’inconscient en nous montrant autrement ce qu’on veut refouler.

Hypnotique et fascinant, le film ressemble beaucoup par moments à Sailor et Lula et contient en germe Mulholland DriveLe film plaira sans aucun doute aux amateurs de Lynch, les autres critiqueront encore une fois l’hermétisme. A vous de choisir votre camp !

Pour ma part, je vais me lancer en quête de la série, même si je sais qui a tué Laura Palmer.

Twin Peaks – Fire walk with me
David LYNCH
1992

Small Stories de David Lynch, à la maison européenne de la photographie

Les images fixes peuvent raconter des histoires. La plupart du temps, les images fixes racontent de petites histoires. Et il arrive parfois que les histoires intéressantes soient de petites histoires.
Les petites histoires se déroulent sur une période très courte. Cependant, la pensée et les émotions peuvent être impliquées quand on regarde une image fixe, et les petites histoires peuvent se développer jusqu’à devenir de grandes histoires. Tout ça dépend, bien sûr, du spectateur.
Il est quasiment impossible de ne pas voir une sorte d’histoire émerger d’une image fixe. Et ça, je trouve que c’est un phénomène magnifique. (David Lynch)

Jeudi, en me baladant dans le Marais, je me suis dit « tiens, si j’allais voir à la maison européenne de la photographie s’il y a quelque chose d’intéressant à voir ? ».

Il y avait : une exposition de photographies de David Lynch, réalisateur dont l’univers me fascine.

Pas d’images animées ici, mais une série de quarante photomontages en noir et blanc, elle-même subdivisée en séries, qui elles-mêmes parfois s’entrecroisent, intitulée « Small Stories », et spécialement réalisée pour l’occasion. Des têtes sans visages, des corps de femmes, des objets incongrus apparaissant à la fenêtre ou en intérieur…

C’est évidemment très « Lynch« , c’est-à-dire totalement en phase avec son univers cinématographique : inquiétant voire effrayant, onirique, sombre, conceptuel si on veut, complètement barré diront certains.

Et d’ailleurs, au cours de ma visite, je n’ai pu m’empêcher de sourire en entendant une jeune femme dire à l’amie qui l’accompagnait « je n’aimerais pas être dans sa tête ».

De fait, je n’aimerais pas trop non plus, mais j’ai néanmoins été assez troublée par cette exposition, à laquelle j’ai trouvé la beauté du bizarre. Mes deux clichés préférés sont les deux premiers du photomontage : le premier parce que je trouve que ce petit lapin ressemble à un lapin de Pâques Lindt, et le deuxième (que l’on ne voit pas bien, malheureusement) parce que selon moi il est totalement à part, beaucoup plus réaliste, et du coup presque plus inquiétant

Small Stories
David LYNCH
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 16 mars

Mulholland Drive, de David Lynch

« I don’t know who I am. I don’t know what my name is ».

Contrairement aux apparences, je ne me fais pas une totale rétrospective David Lynch, mais après Sailor et Lulaj’avais très envie de revoir ce qui reste pour moi son chef-d’œuvre et un chef-d’œuvre du septième art, Mulholland Drive. 

Victime d’un accident de voiture, une mystérieuse femme, amnésique et blessée, erre sur Mulholland Drive. Elle se réfugie dans la première maison qu’elle trouve, l’appartement de la tante de Betty, jeune comédienne qui vient de débarquer à LA dans l’espoir de faire carrière.

Intriguée par cette inconnue qui se fait appeler Rita, Betty, en tentant de l’aider à retrouver la mémoire, découvre dans son sac des liasses de dollars et une mystérieuse clef bleue. Les deux jeunes femmes mènent l’enquête pour retrouver la véritable identité de Rita.

Ce film a tout l’air d’un thriller, et pourtant ce n’en est pas un. En fait, c’est selon moi un film qui doit se voir au moins trois fois : une première fois de manière totalement naïve. Certains (beaucoup) s’arrêtent là, vitupérant contre l’hermétisme de Lynch qui fait qu’à moins d’être un génie, au moment où commence le générique de fin, on se dit qu’on n’a rien compris.

Mais il ne faut pas s’arrêter là. Il faut le revoir avec quelques clés, il existe d’excellents sites internet qui proposent quelques explications éclairantes (mais parfois contradictoires entre elles) et qui peuvent orienter la manière dont on voit le film.

J’ajouterai néanmoins une nuance : pour moi la plus grosse erreur est justement de vouloir absolument une explication qui ferait que toutes les pièces du puzzle s’assemblent. Elles ne s’assemblent jamais de manière totalement cohérente et quelle que soit la piste choisie, comme avec Inceptioncertains éléments ne concordent pas.

C’est selon moi le pacte qu’il faut accepter : ce film est un rêve, et comme tous les rêves, les significations sont démultipliées à l’infini. Et c’est bien ce qui est fascinant : toutes les explications que j’ai pu lire sont totalement cohérentes et pertinentes d’un point de vue externe, mais elles ne s’excluent pas les unes les autres, elles se superposent, en prenant en compte des éléments différents ou en interprétant de manières différentes un même élément.

Il faut donc voir le film une troisième fois. Sans se focaliser sur le sens. Juste pour savourer le génie créateur de Lynch. Les vues absolument fascinantes de LA, la nuit, qui révèlent une véritable jouissance du réalisateur à filmer cette ville. Le rythme lent, presque hypnotique de certaines scènes qui se passent presque totalement de paroles et même de son.

L’importance des regards. Le surgissement inopiné de quelques scènes totalement loufoques dans un film qui est loin de l’être. Les objets qui reviennent à l’identique ou avec de légères variations. La beauté époustouflante du couple Watts/Harring, toutes deux lumineuse, l’une dans le versant solaire et l’autre dans le nocturne.

Un chefs-d’œuvre, à voir, à revoir, à rerevoir…

Mulholland Drive
David LYNCH
France/Etats-Unis, 2001

Wild at Heart (Sailor et Lula), de David Lynch

If you’re truly wild at heart, you’ll fight for your dream. Don’t turn away from love.

Dès sa sortie, ce film s’est imposé comme culte auprès de toute une génération. Un film que j’avais envie de revoir, plus de 15 ans après ma première rencontre avec lui…

Sailor est envoyé en prison pour avoir tué à mains nues un assassin envoyé par la mère de sa petite amie Lula. A sa sortie, Lula vient lui rendre sa veste en peau de serpent, et ils partent ensemble alors que la mère envoie des tueurs à leurs trousses

Complètement déjanté, ce film est un road movie à la fois géographique et symbolique : géographique parce que les deux amoureux traversent effectivement le pays en souhaitant rejoindre l’Eldorado californien ; symbolique, parce que c’est avant tout un voyage au pays de la folie : tous les personnages de ce film, à commencer d’ailleurs par les deux protagonistes, sont complètement givrés, bien qu’à des degrés divers.

Mais c’est avant tout une histoire d’amour absolu, passionnée et charnelle, revisitant de loin le mythe de Roméo et Juliette et dont la leçon serait qu’il faut toujours se battre pour son amour parce que parfois ça finit bien, tout en faisant de multiples références au Magicien d’Oz, la mère de Lula, dangereuse psychopathe, jouant le rôle de la méchante sorcière.

Le tout est évidemment admirablement filmé, avec le fil rouge de la flamme qui inonde l’écran, et plus généralement chaque plan, chaque scène, chaque image atteint la perfection, que ce soit les scènes d’amour, absolument magnifiques, et ce d’autant plus que Nicolas Cage et Laura Dern s’harmonisent à merveille, ou les scènes de violence qui ressemblent parfois à un balet.

Un film déstabilisant, comme le sont du reste tous les films du réalisateur, mais à voir absolument !

Wild at Heart / Sailor et Lula
David LYNCH
Etats-Unis, 1990 — Palme d’or au festival de Cannes