La Chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXème siècle. Le Romantisme noir, de Mario Praz

Ce volume, pour sa grande part, se propose d’étudier la littérature romantique (dont le décadentisme de la fin du siècle dernier n’est qu’un développement) sous l’un de ses aspects les plus caractéristiques : la sensibilité érotique. C’est donc une étude d’états d’âmes, de singularité dans les mœurs ; elle est orientée dans le sens de certains types et de thèmes qui reviennent avec l’insistance de mythes engendrés dans le bouillonnement même du sang. […] Dans nulle autre période littéraire, je crois, le sexe n’a été aussi ostensiblement au centre des œuvres d’imagination.

Publié pour la première fois en Italie en 1966 et traduit seulement dix ans plus tard, cet essai est rapidement devenu un classique des études littéraires, en particulier pour les dix-neuvièmistes et pour ceux qui s’intéressent à ce que, pour aller au plus simple, nous appellerons l’érotisme, dans ses liens avec le Mal.

En tout cas, c’est un des ouvrages qui m’ont le plus servi pour mes recherches, et dans lequel j’ai eu envie de me replonger après ma relecture de Bataille ; non que j’aie envie de m’auto-analyser, mais enfin, il se trouve que mes thèmes obsédants d’écriture, particulièrement en ce moment, sont pleinement dans ce qu’étudie cet ouvrage.

Après avoir défini le « romantisme », terme arbitraire mais fort utile et même indispensable pour contextualiser et éviter les anachronismes et qu’il prend au sens large de mouvement dionysiaque contre l’ordre, Mario Praz s’attache à montrer et étudier la fascination de la période pour le sexe et le mal, en cinq parties.

Tout d’abord, il s’intéresse à la beauté bizarre, celle de la Méduse, à la fois repoussante et attirante, beauté du triste et du mélancolique, qui est aussi une volupté de la douleur, lorsque douleur et plaisir se mêlent. Satan devient alors, dans cette littérature, un véritable personnage, sous de multiples formes de la beauté déchue et de la rébellion : criminels, monstres et vampires.

Evidemment, une partie est consacrée à Sade et à son influence absolument essentielle, ayant popularisé les catégories ô combien essentielles de la vertu persécutée et de la volupté de la débauche, du carnage, du macabre, et… du blasphème.

Tout cela aboutit à la fascination pour les femmes fatales, Salomé et autres Cléopâtre, souvent liées d’ailleurs à ce qui fait l’objet du dernier chapitre : l’Orient, un Orient luxurieux, sulfureux et pervers, où l’érotisme s’épanouit pleinement.

Inutile de vous dire que la lecture d’un tel essai, intellectuellement parlant, fait un bien fou : extrêmement riche et érudit, nourri d’une quantité impressionnante d’extraits divers, il est surtout passionnant ( tout en n’étant pas si complexe que ça, en tout cas dans les grandes lignes) et donne une idée de ce qu’est « l’air du temps » : comment une époque est traversée par des réseaux d’obsessions, pas seulement en littérature mais aussi dans tous les arts.

Comment, aussi, le sexe est au centre des œuvres de l’imagination, et pas seulement à notre époque : on lit parfois qu’à force d’écarter les jambes, la littérature contemporaine va finir par se faire mal, comme si l’obsession du charnel était propre à notre époque. Ce qui n’est, évidemment, pas le cas, mais il est parfois bon de rappeler les évidences !

La Chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXème siècle. Le Romantisme noir (lien affilié)
Mario PRAZ
Denoël, 1977 (Gallimard, Tel, 1998)

Lunes de fiel, de Roman Polanski

On devrait se séparer quand la passion culmine. Ne jamais attendre l’inévitable déclin.

J’avais vu ce film il y a une vingtaine d’années. Autant dire qu’il ne m’en restait pas grand chose, sinon un sentiment de malaise et de trouble, comme c’est souvent le cas d’ailleurs avec les films de Polanski.

Fiona et Nigel Dobson, un couple d’Anglais, effectuent un voyage pour fêter leurs sept ans de mariage. Sur le bateau qui les mène en Turquie, il font la connaissance de Mimi, une française, puis de son mari Oscar, un écrivain américain en fauteuil roulant, qui entreprend de raconter son histoire à Nigel et de le mettre en garde contre Mimi. D’abord scandalisé, Nigel est petit à petit troublé par le récit

Avec la mécanique implacable de la tragédie grecque, ce film impeccablement construit revisite le mythe de la femme fatale et de la passion amoureuse s’apparentant à une véritable folie. On sait que ça va mal finir, dans le récit cadre comme dans le récit inséré.

Mimi, qui apparaît tantôt comme ingénue et fragile, tantôt comme vénéneuse et dangereuse, tisse sa toile, tend son piège grâce à sa sensualité débordante, Salomé danseuse ensorcelante et provocante. Comme d’habitude, Emmanuelle Seigner passe l’essentiel du film à moitié nue voire complètement, et irradie totalement la pellicule, faisant des hommes des pantins.

L’enjeu du film, c’est la descente aux enfers d’un couple qui n’est finalement lié que par le sexe : évidemment, le film suscite le malaise, de par sa violence et la crudité. Les rapports de domination et de soumission sont mis à nu, leur mécanisme exhibé et démonté d’autant mieux qu’ils sont flous : chacun, tour à tour, endosse les deux rôles, victime et bourreau.

En face, un couple un peu coincé (Hugh Grant et Kristin Scott Thomas, parfais en Anglais proprets) pour qui cette histoire sera sans aucun doute cathartique et libératrice.

Assurément, un film dérangeant et troublant, marqué par la chair, la violence, le sang et le sexe. Eros et thanatos, une fois de plus. Assurément, un des plus grands films de Polanski, à voir absolument !

Lunes de fiel
Roman POLANSKI (d’après le roman éponyme de Pascal BRUCKNER, lien affilié)
1992