Histoires sensuelles, de Zoya Akhtar, Karan Johar, Anurag Kashyap et Dibakar Banerjee : comment vivre sa féminité dans l’Inde d’aujourd’hui ?

Il y a quelques années, j’étais allée voir au cinéma Eros, un ensemble de trois courts-métrages réalisés par trois grands maîtres : Michelangelo Antonioni, Steven Soderbergh et Wong Kar Wai. Je n’ai jamais réussi à revoir ce film depuis (il n’est visiblement disponible sur aucune plateforme de VOD) mais c’est peu de dire qu’il m’a durablement marquée. Bref, l’autre jour, je suis tombée sur Netflix sur ce film, qui repose sur le même principe (et semble être la suite d’un autre, mais ce n’est pas grave) : quatre histoires qui explorent l’amour et la sexualité dans l’Inde moderne.

Dans le premier film, une jeune professeure mariée a une aventure avec l’un de ses élèves ; dans le deuxième, une employée de maison a une liaison avec un de ses clients, sur le point de se marier ; dans le troisième, un homme reçoit le coup de fil d’un de ses amis qui se plaint que sa femme le trompe — justement avec l’ami en question ; enfin, dans le dernier, un jeune couple se marie, et la femme est bien déçue de la manière dont son mari s’y prend au lit…

Si l’on peut déplorer une certaine lenteur parfois (mais je n’ai pas du tout l’habitude du cinéma indien), le fait est que ce film ne manque pas de soulever certaines questions intéressantes, à la fois inhérentes à la société indienne prise entre une certaine modernité et le poids des traditions (l’étanchéité des classes sociales notamment) et universelles : ce qui est bien et ce qui est mal, la monogamie et la fidélité (l’infidélité), et bien sûr le statut des femmes : ici il est question de liberté, d’explorer la vie, la sensualité, la féminité et la jouissance. J’avoue avoir, sur cette question, une petite préférence pour le dernier film, qui contient une scène assez drôle qu’on croirait presque issue d’un épisode de Sex and the city.

En tout cas, une très belle découverte !

Histoires sensuelles
Zoya AKHTAR, Karan JOHAR, Anurag KASHYAP et Dibakar BANERJEE
Netflix, 2018

La Colère de Kurathi Amman, de Meena Kandasamy

La Colère de Kurathi Amman, de Meena KandasamyIl était une fois, dans un minuscule village, une vieille femme.
En écrivant à l’heure du Printemps arabe, je m’attends à ce que tout le monde soit déçu par une phrase d’introduction qui ne contient aucune référence à une grenade, à une croisade, ni même au grand tabou souvent minimisé : le génocide. Faite maison, comme le commerce des esclaves, aussi cliché que possible, cette première phrase est censée décevoir pour battre en brèche l’importance considérable qu’on accorde aux démarrages en fanfare.
En tant que romancière de la première génération, écrivant manifestement dans sa deuxième langue, dans un pays du tiers-monde, je sais qu’après avoir lu une phrase d’introduction aussi faible les critiques littéraires vont me mépriser et m’épingler avec une sévérité digne d’un grand prix littéraire, tout en se préparant à lire une pauvre histoire de drame et de trauma local. Qu’ils jacassent en paix.

En fait, cette phrase d’introduction n’est pas vraiment le problème de ce roman.

Mais reprenons au début. Toujours dans mes efforts (louables) pour découvrir les littératures étrangères non anglo-saxonnes (encore que là c’est écrit en anglais), j’ai eu envie de me lancer dans la littérature indienne, alléchée par le titre, où il est donc question d’une déesse. Et les déesses, ça m’intéresse.

1968. Dans une Inde au système de castes particulièrement rigide, les mouvements de protestations paysans commencent à prendre de l’ampleur, ce qui mènera au plus grand massacre lié aux castes de l’histoire de l’Inde, le 25 décembre.

Résolument (et volontairement) postmoderne, le roman s’affiche d’emblée déconcertant : il veut nous raconter une histoire, mais ne cesse de la commenter, de mettre en scène le geste d’écrire, dynamitant par là la fiction, l’effet de réel, la suspension de l’incrédulité en rappelant sans cesse au lecteur qu’il lit un roman ; encore que pas tout à fait, puisqu’il s’agit d’une tragédie réelle, le massacre de 44 habitants d’un village le 25 décembre 1968, massacre perpétré par les propriétaires terriens. Mais, de mon point de vue, cela n’est pas gênant a priori, et les réflexions sur « comment raconter des histoires » sont plutôt intéressantes et assez perspicaces ; le premier problème c’est que ce n’est ni assez tenu ni assez maîtrisé, et qu’au final ça part dans tous les sens (c’est dur d’écrire un roman post-moderne). L’autre problème vient d’une espèce de décalage, quant à lui assez dérangeant, entre le ton sarcastique et grinçant (et parfois limite condescendant avec le lecteur) et la tragédie elle-même (là encore ce n’est pas gênant en soi, mais il faut que ce soit bien fait, et n’est pas Voltaire qui veut), qui se double d’un parti-pris idéologique extrêmement marqué, affiché, revendiqué, et qui selon moi n’a pas sa place dans un roman : autant écrire un manifeste. Alors évidemment, difficile de ne pas tomber dans le manichéisme avec un tel sujet : le système social en Inde est absolument effarant, et il n’y a pas besoin de réfléchir beaucoup pour distinguer « les bons » des « méchants », encore qu’il y ait des nuances car si en 1968 ont pouvait encore avoir des illusions, il est difficile aujourd’hui de mettre le Parti Communiste du côté du bien, mais passons. Il me semble en tout cas que les faits parlant d’eux-même, le lecteur n’a pas besoin qu’on lui dise ce qu’il doit penser, et que le roman aurait mérité plus de nuances.

Un roman beaucoup trop à thèse donc, touffu et non maîtrisé, qui finit par devenir ennuyeux… Quant à la déesse, je l’attends toujours ! Bref : un premier roman beaucoup trop ambitieux sans avoir les moyens de l’être.

La Colère de Kurathi Amman
Meena KANDASAMY
Traduit de l’anglais (Inde) par Carine Chichereau
Plon, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 6/6
By Herisson