Love story à l’iranienne, de Jane Deuxard et Deloupy : le bonheur interdit

L’amour ne peut pas être un blasphème.

L’autre jour, à la médiathèque, en cherchant autre chose, que je n’ai d’ailleurs pas trouvé, je suis tombée sur cet album, qui était parfaitement d’actualité : publié en 2016, il fait le portrait d’une jeunesse iranienne écrasée par un régime qui lui interdit toute perspective de bonheur. Cette jeunesse qui, aujourd’hui, se révolte, un peu comme une cocotte minute qui explose.

Jane Deuxard est le pseudonyme d’un couple de journalistes. Clandestinement, ils sont allés en Iran recueillir le témoignage de cette jeunesse iranienne brimée, et pourtant en quête d’amour. Gila et Mila, Saviosh, Vahid, Kimia et Zeinab, Omid, Ashem et Nima, Saeedeh, Soban, Jamileh, Leïla. Tous essaient de s’adapter, de se cacher dans les interstices, pour aimer, ou essayer.

Un album qui, de manière très salutaire, fait froid dans le dos, en nous révélant de l’intérieur la réalité vécue par cette jeunesse sacrifiée. Les rapports sexuels incomplets pour faire l’amour quand même tout en respectant les interdits, les tests de virginités, les reconstructions d’hymen, les mariages arrangés, la police partout, les suicides, la nécessité de vivre dans le mensonge, la peur constante de se faire tuer ou tabasser pour avoir simplement voulu vivre et aimer. Et le désespoir, la résignation à ne vivre qu’à demi (et encore) : ils ne croient même plus qu’une révolution soit possible, se montrent à l’occasion cyniquement désabusés. Certains parviennent même, atteints d’un curieux syndrome de Stockholm qui est une mesure de défense et de survie, à s’adapter, comme cette jeune fille qui risque sa vie en faisant l’amour avec son fiancé, mais qui voit ce danger comme romantique, et soutien que si on interdit tout aux femmes, c’est parce qu’on les considère comme précieuses.

Ce qui est particulièrement intéressant, je trouve, c’est que l’album met finalement le doigt sur l’enjeu de ces régimes théocratiques assis sur le patriarcat. On parle beaucoup, bien sûr, de la souffrance des femmes à qui tout est interdit. Mais ce dont on parle moins, et c’est pourtant nécessaire, de la souffrance des hommes, dont beaucoup ne sont nullement satisfaits de cette situation où ils sont supposés être les maîtres, et qui fait, en réalité, peser sur eux un poids, différent, mais trop lourd également : celui de gagner beaucoup d’argent, d’avoir un appartement et une voiture, s’ils veulent espérer se marier. Et leur interdit, à eux aussi, l’amour.

Finalement, le véritable ennemi de ces intégristes, ce n’est pas tant les femmes que l’amour et le bonheur. En opprimant les femmes, ils ne cherchent qu’une chose : séparer les êtres. Et cet album m’a profondément touchée parce qu’il est plein de désespoir. A quoi ressemble un monde où on risque sa vie en aimant ? Et bien, c’est l’enfer. C’est le Diable qui se fait passer pour Dieu. C’est le mal absolu.

Vraiment, si vous avez l’occasion, n’hésitez pas à lire cet album qui permet vraiment de comprendre ce qui se joue actuellement.

Love story à l’iranienne
Jane DEUXARD et DELOUPY
Delcourt/Mirages, 2016