L’Abbaye de Northanger, de Jane Austen : à quoi rêvent les jeunes filles

Oui, des romans ; car je ne donne pas dans cette mesquine et maladroite habitude, qu’ont les auteurs de romans, de déprécier par leur blâme toute une catégorie d’œuvres dont ils ont eux-mêmes accru le nombre : se joignant à leurs ennemis pour décerner les plus sévères épithètes à ces œuvres-là et n’en permettant presque jamais la lecture à leur héroïne qui, si elle ouvre par hasard un roman, n’en fera certainement qu’en feuilleter les pages insipides avec dégoût. Las ! Si l’héroïne d’un roman n’est pas prise sous son aile par l’héroïne d’un autre roman, de qui pourra-t-elle attendre protection et égards ?

Alors évidemment, maintenant que j’ai fini par craquer pour la collection Cranford… entendons-nous bien : je n’envisage pas de tous les acheter (et d’ailleurs j’ai résisté à Persuasion pas plus tard que la semaine dernière) mais s’agissant de romans que je n’ai pas lus, évidemment, c’est plus difficile de résister. Donc voilà comment j’ai fini par lire ce roman de Jane Austen qui faisait partie de ceux que je n’avais pas lus.

Catherine Morland, l’héroïne de ce roman, est une jeune fille fort sympathique mais très naïve, et son imagination a tendance à s’emballer facilement, d’autant qu’elle se passionne pour les romans gothiques et rêve d’aventures mystérieuses. Invité à passer quelques semaines à Bath par des amis, elle y fait la connaissance des Thorpe, puis d’Eleanor Tilney et surtout d’Henry, dont le père l’invite à séjourner quelque temps à l’abbaye de Northanger, où elle pense pouvoir vivre des aventures extraordinaires…

Un roman vif et enlevé, d’une ironie mordante, souvent très drôle, et dont je me suis dit que Jane Austen avait dû beaucoup s’amuser à l’écrire. C’est un joli roman d’apprentissage et une histoire d’amour touchante, qui défend la lecture des romans. Cela dit, je pense que je l’aurais davantage apprécié si je l’avais lu plus jeune !

L’Abbaye de Northanger
Jane AUSTEN
Traduit de l’anglais par Félix Fénéon
Cranford collection

Au paradis des manuscrits refusés, d’Irving Finkel : drôle de bibliothèque

Les gens acceptaient très bien l’idée d’une sorte de sélection naturelle. Mais voici ce que lui se demandait : cette fameuse sélection naturelle, lourdement biaisée depuis toujours par l’intérêt commercial, faisait-elle vraiment en sorte de révéler au public toutes les œuvres dignes de ce nom ? La réponse était assurément non. Aucun deus ex machina ne venait immanquablement déposer chaque chef-d’œuvre entre les mains du parfait éditeur.

Hasard du calendrier (ou non), ce roman sorti en 1997 est paru dans sa version française la même année que Le mystère Henri Pick de David Foenkinos, dont le point de départ est plus ou moins le même. Je l’avais donc noté dans un coin de ma tête, mais comme on le sait, il me faut parfois un temps infini pour faire les choses.

Le docteur Montague Patience est le conservateur en chef d’une bien originale bibliothèque, qui contient des livres ne se trouvant nulle part ailleurs : les manuscrits refusés par les éditeurs et agents littéraires. Là, ces exclus sont choyés, appréciés, attendus, dans un lieu qui n’est pas de tout repos car il s’en passe, des choses, dans cette bibliothèque !

Une lecture réjouissante, pleine d’une fantaisie typiquement anglaise et gentiment satirique, qui m’a fait un bien fou. C’est très drôle, et il se passe des choses assez rocambolesques. Mais mine de rien, le roman pose aussi une question de fond : la littérature publiée avait-elle plus de valeur que la littérature impubliée ? Quelles étaient les différences entre la littérature éditée et non éditée ? Et vu le zèle avec lequel tous ces gens traitent les manuscrits qui leur parviennent, la réponse semble évidente, que la littérature est partout.

Bref, je recommande !

Au paradis des manuscrits refusés
Irving FINKEL
Traduit de l’anglais par Olivier Lebleu
Lattès, 2016, rééd 10/18, 2017

Le Songe d’une nuit d’été, de William Shakespeare

Hélas ! d’après tout ce que j’ai pu lire dans l’histoire ou appris par ouï-dire, l’amour vrai n’a jamais suivi un cours facile […] Si les vrais amants ont toujours été contrariés ainsi, c’est en vertu d’un édit de la destinée ; supportons donc ces épreuves, puisqu’elles sont une croix nécessaire, aussi inhérente à l’amour que la rêverie, les songes, les soupirs, les désirs et les pleurs, ce triste cortège de la passion. 

Ces derniers temps, je n’ai cessé de croiser cette pièce sur ma route (limite c’était du harcèlement) : y voyant une injonction de l’Univers (oui, je sais, nous sommes plusieurs dans ma tête, parfois), j’ai obéi, et je l’ai relue (en plus ça tombe bien, on est en été, c’était la saint-Jean, une des dates possibles de la fameuse nuit d’été, il y a trois jours, et c’est le mois anglais), dans l’édition que j’avais sous la main (c’est un peu dommage d’ailleurs car j’ai une édition beaucoup plus jolie, mais je ne sais pas trop où elle est…), à la recherche de la raison pour laquelle cette pièce m’a fait signe (j’ai trouvé, mais je ne vous le dirai pas).

Résumer cette pièce est un peu compliqué. Tout commence alors que Thésée, le duc d’Athènes, doit épouser Hippolyte, la reine des Amazones ; se marier, c’est aussi ce que voudraient faire Lysandre et Hermia, mais le père de la jeune fille a décidé qu’elle épouserait plutôt Démétrius, qui est très amoureux d’elle mais qu’elle n’aime pas, contrairement à Héléna. Lysandre et Hermia décident de s’enfuir et se donnent rendez-vous la nuit suivante. Pendant ce temps, les artisans du village répètent une petite pièce racontant l’histoire de Pyrame et Thisbée, qu’ils comptent représenter au mariage. Quant à Obéron, le roi des Elfes, et Titania, la reine des Fées, ils sont fâchés, et Obéron, aidé de Puck, compte bien jouer un sale tour à sa femme. Tout ce petit monde va se retrouver dans la forêt, pendant cette fameuse nuit d’été…

Le Songe d’une nuit d’été est sans doute l’une des plus fascinantes pièces de Shakespeare, et des plus foisonnantes — baroque, en somme : s’y mêlent l’antiquité, le christianisme et le paganisme anglo-saxon, dans une joyeuse succession de quiproquos et de rebondissements loufoques. Une comédie romantique pleine de magie, avec des filtres d’amour remplaçant les flèches de l’aveugle Cupidon (L’amour en son imagination n’a pas le goût du jugement. Des ailes et pas d’yeux : voilà l’emblème de sa vivacité étourdie) et des problèmes, parce qu’aucune grande histoire d’amour ne naît dans la simplicité, et ce sont les épreuves traversées qui l’adoubent — mais heureusement, tout se termine bien par des mariages. Enfin, une réflexion sur le théâtre, l’illusion théâtrale et la mise en abyme, le quatrième mur qui s’effondre.

Illusion ? Rêve ? Réalité ? De toute façon, l’amour est fou et capricieux et comme lui nous sommes des enfants. Et c’est une belle folie à laquelle Shakespeare nous invite à céder, en cette nuit d’été, nuit de la saint-Jean, nuit de Beltane ou autre nuit…

Le Songe d’une nuit d’été
William SHAKESPEARE
Traduit de l’anglais par François-Victor Hugo (revu par Yves Florenne et Elisabeth Duret)

Le mois anglais

Les Quatre Vérités, de David Lodge

Les Quatre Vérités, de David LodgeEcrire des romans, c’est comme de glisser des messages dans une série de bouteilles qu’on jette à la mer au jusant, sans avoir la moindre idée du lieu où les vagues les porteront ni même savoir s’il y aura quelqu’un pour regarder dedans.

L’autre jour, j’ai fait un peu de rangement sur les étagères « littérature étrangère » de mes bibliothèques (cela devenait nécessaire, c’était une joyeuse pagaille) et je suis tombée sur ce roman de David Lodge, qui n’était d’ailleurs pas du tout à sa place (à savoir sur le rayon littérature anglaise, avec ses autres romans : il était coincé quelque part entre Joyce Maynard et Zweig, vous voyez le niveau de désorganisation). Persuadée que je l’avais déjà lu mais n’ayant aucune trace de cette lecture (je pense d’ailleurs que j’avais tort et que je ne l’avais pas lu), je me suis dit que tiens, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu David Lodge (depuis avant la création du blog, semble-t-il), et qu’en plus c’était le mois anglais. Cherry on the cake, cela parle d’écrivain et d’écriture, une de mes marottes, comme chacun sait.

Adrian, un écrivain dont le premier roman était prometteur mais qui ne se consacre plus qu’à la rédaction d’anthologies, et Sam, son vieil ami d’université devenu scénariste à succès, mettent au point un plan pour venger ce dernier de Fanny Tarrant, une journaliste féroce qui a fait de lui un portrait au vitriol dans le journal du dimanche. Eleanor, la femme d’Adrian, est plus que réticente vis-à-vis de ce plan, et elle n’a sans doute pas tort car les choses ne vont pas tout à fait se dérouler comme prévu…

Ce court roman est en fait la novellisation d’une pièce de théâtre, ce qui explique son caractère resserré en huis-clos, reposant principalement sur les dialogues. Féroce et satirique comme il sait si bien l’être, David Lodge aborde dans ce texte le thème de la vie littéraire dans la société, les exigences médiatiques et la difficile vie de l’écrivain, surtout face aux critiques (qui vous en apprennent long sur eux-mêmes. Pas sur votre livre). C’est aussi une exploration du couple et des secrets sur lesquels il se construit parfois. Bref : un bon moment (quoique court), pas du très grand David Lodge néanmoins (sans doute à cause de la forme qui empêche de creuser davantage), mais drôle et intéressant tout de même !

Les Quatre Vérités
David LODGE
Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux
Payot & Rivages, 2000

Le mois anglais

Haute fidélité, de Nick Hornby

Haute fidélité, de Nick HornbyIl me semble que si on place la musique (comme les livres, probablement, les films, les pièces de théâtre, et tout ce qui vous fait ressentir) au centre de l’existence, alors on n’a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini. Il faut y picorer, la maintenir en vie, l’agiter, il faut y picorer, la dérouler jusqu’à ce qu’elle parte en lambeaux et que vous deviez tout recommencer. Peut-être que nous vivons tous de façon trop aiguë, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu’en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide. Peut-être qu’Al Green est directement responsable de beaucoup plus que je ne pensais. 

Depuis le temps que j’entends parler de ce roman ! Mais je ne sais pas pourquoi (pas seulement le manque de temps), quelque chose me retenait. Et puis l’autre jour, une petite voix (oui, nous sommes un certain nombre dans ma tête) m’a dit que c’était le moment, alors soit. Et puis ça tombe bien, c’est le mois anglais.

Rob, le narrateur, tient un magasin de disques dans le nord de Londres, et vient de se faire plaquer pour la trèsnombreusième fois de sa vie, après des années de vie commune avec Laura. Et il essaie de s’en remettre comme il peut, en écoutant de la musique, et en faisant la liste de ses ruptures inoubliables, dont ne fait pas partie celle avec Laura, essaie-t-il de se convaincre : non, il est trop vieux pour avoir le coeur brisé, et ses ruptures les plus douloureuses étaient forcément les cinq premières…

Voilà un roman qui ne trahit pas sa réputation d’être extrêmement drôle, et plein d’autodérision. Mais, je l’avoue, aussi pathétique et lâche qu’il soit parfois, Rob m’a surtout éminemment attendrie et j’avais envie de le prendre dans mes bras pour consoler ce pauvre petit oiseau tombé du nid. Parce que, mine de rien, au-delà de l’humour ravageur, Nick Hornby analyse à la perfection le précaire masculin, subordonné au culte de la virilité et de la performance (alors qu’ils sont des pauvres petites choses fragiles, au fond), et le conditionnement amoureux : est-ce que nos histoires présentes se jouent dans nos histoires passées, nos amourettes d’adolescent et de jeune adulte même si elles ont duré deux jours ? Les cinq premières histoires qui conditionnent toute notre vie ? C’est, finalement, un roman sur l’abandon : en ayant été abandonné ou trahi (dans sa tête du moins) par ses cinq premières copines, Rob a développé une mauvaise image de lui-même, ne cesse donc de répéter un schéma identique, et refuse de s’engager. Sauf que ça, bien sûr, il ne le comprend pas vraiment. Et c’est vrai que nous sommes tellement conditionnés, hommes comme femmes, que nous ne nous en apercevons pas toujours, mais si ce constat est valable pour les deux sexes, je finis par me demander si malgré les apparences et la société qui les oblige à jouer aux durs, les hommes (certains en tout cas) ne sont pas plus sensibles et fragiles émotionnellement que nous, en particulier ceux qui se comportent comme de parfaits c*** (oui je sais, je ne viens pas de découvrir le fil à couper le beurre et ce n’est pas avec ça que je vais gagner un prix Nobel, mais tout de même). Et ce roman, imprégné de musique (c’est même une véritable playlist), en est la parfaite illustration : si Rob agit parfois comme un tocard, c’est qu’il est au fond trop sensible…

Bref un roman drôle, très, mais pas seulement. Je l’offrirais bien à quelqu’un…

Haute fidélité
Nick HORNBY
Traduit de l’anglais par Gilles Lergen
Feux Croisés/Plon, 1997 (10/18, 1999)

Le mois anglais