Mrs Hemingway, de Naomi Wood : il faut beaucoup aimer les hommes

Ernest est sur le point de dire quelque chose mais se retient. Martha pense que c’est typique d’Ernest : il veut sa femme, il veut sa maîtresse, il veut tout ce qui est à sa portée. Il est avide de femmes mais surtout il ne connaît pas ses vrais besoins, alors dans le doute il essaie d’attraper tout ce qui passe. Épouse après épouse après épouse. Ce n’est pas une épouse qu’il lui faut : c’est une mère ! 

C’est peu de dire que je ne suis pas une grande adepte d’Hemingway : à part Paris est une fêtece qu’il a écrit me résiste (je pense que c’est beaucoup trop « viril » pour moi), et l’homme me donne des envies de violence. Et pourtant, cette sorte de biographie d’Hemingway à travers ses épouses (Mrs Hemingway est à mettre au pluriel) a attiré mon attention ; j’avais déjà lu le roman de Paula McLain consacré à Hadley, la première, et je ne sais pas trop pourquoi j’ai eu envie de creuser la question.

Le roman commence alors que le couple formé par Ernest et Hadley se délite, et qu’ils sont en vacances à Antibes avec Pauline Pfeiffer dite Fife, maîtresse d’Ernest qui sera bientôt la seconde Mme Hemingway, avant de céder la place à Martha Gellhorn, elle-même supplantée par Mary Welsh.

Le procédé narratif choisi par l’auteure est particulièrement malin, car il permet de mettre en évidence le schéma de répétition qu’Hemingway a suivi toute sa vie ; la narration n’est donc pas linéaire, mais procède par allers-retours dans l’espace et le temps en racontant les événements-clés, le début et la fin de chaque histoire ; les mêmes événements donc, mais avec des points de vue différents, puisque la fin de l’une est le début de la suivante. Hemingway ne fait que vivre sans fin la même histoire : se séparer d’une femme pour en épouser une autre, avec une période de latence où il est avec les deux. Le point de vue adopté est toujours celui des épouses, et pourtant on a l’impression de lire en lui comme dans un livre : sa lâcheté, qui est à la fois une peur d’être bien, posé, en couple, finalement heureux car il saccage toujours tout en croyant que le bonheur est ailleurs, plus loin, avec une autre, et une peur d’être seul ; il a désespérément besoin d’une femme, pas seulement pour être dans l’élan désirant essentiel à l’écriture, mais aussi tout simplement pour s’occuper de lui. Il faut beaucoup l’aimer pour l’aimer : alcoolique, tyrannique, égocentrique, vampirique, il a besoin d’être au centre de l’attention — comme le dit Martha, un enfant qui a besoin d’une mère.

Un roman fascinant donc, qui donne un éclairage intéressant sur Hemingway, et se lit avec beaucoup de plaisir !

Mrs Hemingway
Naomi WOOD
Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe
Quai Voltaire, 2017 (Folio, 2019)