L’Art d’aimer, d’Ovide : Mars et Vénus

Maintenant plus que jamais, fils de Vénus, et toi, déesse de Cythère, assistez-moi. Maintenant, toi aussi, Erato, car tu dois ton nom à l’amour. Je médite une grande entreprise, dire par quel art on peut fixer l’amour, cet enfant si volage dans le vaste univers. Il est léger et il a deux ailes qui lui permettent de s’échapper ; il est difficile d’en régler les mouvements. 

En ce moment, je travaille sur les archétypes du féminin sacré, et concernant Vénus/Aphrodite j’ai eu l’impulsion de relire ce petit volume que j’avais découvert quand j’étais en seconde (qui était déjà dans ma pile à relire).

L’amour est un art qui s’apprend et Ovide, poète érotique, a reçu de Vénus la mission d’instruire son fils et de transmettre son savoir sur le sujet. Les deux premiers livres sont à destination du public masculin pour trouver l’objet d’amour, lui plaire et le garder. Le troisième fait la même chose pour les femmes.

Evidemment, l’intérêt de cet ouvrage ne réside pas dans les conseils qui sont prodigués, d’autant que cela reste très misogyne bien sûr (toutes les femmes peuvent être prises […] celle même, dont tu pourras croire qu’elle ne veut pas, voudra : cette petite remarque m’a d’ailleurs inspirée pour le prologue des aventures de Salomé).

Je ne suis pas très adepte non plus du vocabulaire de la chasse et de la guerre qui parcourt tout le texte.

Mais cette manière délicatement érotique de parler des plaisirs et des tourments de l’amour, cet art poétique dédié à Vénus, cette multitude de récits mythologiques : cela reste une curiosité à découvrir si vous ne l’avez jamais fait.

L’Art d’aimer (lien affilié)
OVIDE
Texte établi et traduit par Henri Bornecque

Les Héroïdes, d’Ovide : lettres amoureuses

J’écris ce qui est remis à Ulysse de la part de Pénélope, tes larmes, Phyllis, quand tu te vois abandonnée, et ce que liront Pâris, Macarée, Jason si peu reconnaissant, Hippolyte et le père d’Hippolyte ; je répète les paroles de la malheureuse Didon, qui tient son épée nue, et de la Lesbienne, qui aime la lyre éolienne. (Ovide, Les Amours)

J’en avais lu des extraits, traduits en version au temps où, avec beaucoup de peine, je faisais du latin (je n’ai jamais été très douée), mais je ne m’étais jamais penchée sur ces lettres dans leur ensemble ; l’autre jour, je suis tombée dessus, et comme j’envisage de moins en moins vaguement d’écrire la suite du Truc, je me suis dit que c’était parfait.

Ovide imagine dans ce texte les lettres qu’auraient pu écrire certains personnages amoureux de la mythologie.

Les quinze premières sont adressées par des femmes à l’homme qu’elles aiment et qui, dans beaucoup de cas, les a trahies et abandonnées (pas toujours, mais c’est tout de même un motif récurrent) : Pénélope à Ulysse, Phyllis à Démophon, Briseis à Achille, Phèdre à Hippolyte, Oenone à Pâris, Hypsypyle à Jason, Didon à Enée, Hermione à Oreste, Déjanire à Hercule, Ariane à Thésée, Canacé à Macarée, Médée à Jason, Laodamie à Protesilas, Hypermestre à Lyncée, Sapho à Phaon (la seule qui ne soit pas issue de la mythologie).

Suivent trois échanges : Pâris et Hélène, Léandre et Héro, Accontius et Cydippe.

L’amour est l’un des sujets essentiels de la mythologie, et Ovide celui qui l’exalte avec le plus de profondeur : il explore ici la passion amoureuse au féminin, l’expérience douloureuse de l’éloignement, parfois de l’abandon et de la trahison, les tourments de l’amour malheureux où les hommes sont bien souvent des bourreaux (avec mention spéciale à Jason, qui fait le coup de la trahison deux fois) à qui on pardonne, pourtant.

C’est magnifique, émouvant, et j’ai découvert des histoires que je ne connaissais d’ailleurs pas.

Je vous laisse méditer sur ces mots de Phèdre à Hippolyte (ma lettre préférée, je crois) : Il est dangereux de dédaigner les ordres que donne Amour : il règne, il étend ses droits sur les dieux souverains. 

Les Héroïdes. Lettres d’amour (lien affilié)
OVIDE
Traduit par Théophile Baudement
Gallimard, 1999

Métamorphoses, de Christophe Honoré

Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux ; ô dieux (car ces métamorphoses sont aussi votre ouvrage), secondez mon entreprise et de votre souffle conduisez sans interruption ce poème depuis les plus lointaines origines du monde jusqu’à mon temps.

Les Métamorphoses d’Ovide sont l’un des textes fondateurs de notre civilisation, et sans doute l’un des plus beaux. J’étais curieuse de voir comment on pouvait l’adapter de nos jours

Une lycéenne Europe, rencontre un jeune routier qui lui dit être Jupiter et l’entraîne avec lui, pour lui raconter les histoires merveilleuses des dieux parmi les hommes.

Curieux mélange de merveilleux et de prosaïqueMétamorphoses est donc une relecture/réécriture d’Ovide qui fait se percuter de manière intéressante les temps mythiques, ce in illo tempore d’avant l’histoire, et le monde contemporain.

De fait, les mythes sont toujours vivants parmi nous, parce qu’ils font partie intégrante de l’âme humaine et de l’inconscient collectif, ils nous parlent, ils ont toujours quelque chose à nous dire, c’est ce que montre par exemple l’histoire de Narcisse.

De manière générale, ce que nous montre le film, c’est le pouvoir des histoires (mythos = récit en grec), leur pouvoir de réenchanter le monde si on y croit. Cela ne manque pas de moments de grâce et de pure poésie, que ce soit avec le motif aquatique, symbole par excellence de la rêverie et de l’inconscient, ou certaines histoires, comme lorsque les yeux d’Argos viennent décorer les plumes du paon, ou lorsque Philémon et Baucis se transforment en arbres enlacés.

Mais il y a aussi des choses moins réussie. Déjà les acteurs, qui sont extrêmement mauvais, absolument pas naturels, ils récitent leur texte : à ce point, cela est sans doute fait exprès, mais cela gâche l’ensemble.

Et puis, surtout, la manière de filmer la sexualité : si les mythes ont a la base pour fonction d’explorer les mystères qui hantent l’être humain et de les expliquer, la différence des sexes est le mystère le plus absolu. Du coup, il y a beaucoup de scènes de sexe dans le film, mais qui ne sont absolument pas sensuelles, qui manquent totalement de grâce.

Le film est donc assez étrange, très silencieux, onirique et parfois hermétique, très intéressant dans sa manière de montrer un monde dont n’auraient pas totalement disparu la magie et les mythes mais qui nécessite une certaine connaissance de la mythologie latine pour ne pas être complètement perdu.

Métamorphoses
Christophe HONORÉ
2014