Une nuit à l’hôtel : ne pas être chez soi

Onze nouvelles, onze histoires comme autant de chambres à explorer dans cette auberge littéraire, peuplée d’hommes fragiles et de femmes en plein doute, de voyageurs imprudents et de touristes en fuite. Vous avez les clés, il ne tient plus qu’à vous d’y pénétrer. Car, dorénavant, cette nuit vous appartient. 

Cette année, pour son recueil de nouvelles estivale, après avoir exploré l’ailleurs et la séduction, Le 1 nous convie à une nuit à l’hôtel, en compagnie de onze écrivains : Cécile Coulon, Serge Joncour, Nina Bouraoui, Sylvain Prudhomme, Adeline Dieudonné, Franck Bouysse, Négar Djavadi, Caryl Ferey, Ingrid Astier, Régis Jauffret et Valérie Zenatti.

Evidemment, le thème m’a amusée, ayant moi-même planché sur le sujet dans la catégorie érotique (à laquelle n’appartient aucun des textes ici présents) : de fait, l’hôtel, par son ambiance particulière, est un lieu d’inspiration par excellence, et les auteurs s’emparent du thème de manière très personnelle, proposant des nouvelles aux univers et aux tons d’une grande variété : tristesse, nostalgie, fantaisie, humour… Très joliment illustré, c’est une invitation au voyage, qui permet de retrouver des auteurs qu’on aime, et d’en découvrir d’autres !

Parfait pour l’été !

Une nuit à l’hôtel
Le 1, 2019

 

Cannibales, de Régis Jauffret

A votre âge, vous savez sans doute que les amours sont des ampoules. Quand elles n’en peuvent plus de nous avoir illuminés, elles s’éteignent. Il serait sot et vain de vouloir leur ouvrir le ventre pour tenter de les ranimer. Autant chercher à réparer un coucher de soleil au lieu d’accepter la nuit et attendre l’aube du lendemain.

J’étais curieuse de découvrir ce roman depuis que j’avais interviewé Régis Jauffret lors du Forum Fnac Livres : il m’avait à la fois fascinée et amusée, et si j’avais lamentablement échoué, il y a quelques années, à entrer dans Claustria, beaucoup trop anxiogène pour moi, ce roman me paraissait au contraire tout à fait dans mes cordes. Et puis, il s’est retrouvé dans le dernier carré du Goncourt : je l’avais acheté la veille, il a grillé tout le monde.

Noémie à 24 ans, et vient de quitter Geoffrey, de plus de vingt ans son aîné. Elle aurait bien aimé qu’il se roule à ses pieds, mais il ne le fait pas. Alors elle écrit à Jeanne, la mère de Geoffrey, pour la convaincre du bien-fondé de cette rupture. Si les relations sont d’abord tendues et les lettres, du côté de Jeanne, peu amènes, elles se prennent vite d’affection l’une pour l’autre, et se lient autour d’un projet original : assassiner Geoffrey, et le dévorer…

Cannibales est un exercice de cruauté absolument brillant et délicieux, à la fois drôle et désespéré. Les hommes y sont assez maltraités : faibles, précaires, fragiles, ils sont, à l’image de Geoffrey (Jauffret ?), la proie de deux bacchantes (la mère/l’amante (la mante ?)) avides de leur chair : dans tout le roman, l’omniprésence du champ lexical du corps est évidente.

Le sang, les organes, les viscères, les poils, les os, la viandes, les larmes, le sperme. L’homme est réduit à son corps et à ses fluides, quand les femmes dissertent, brillamment, sur la vie et l’amour : car c’est bien ce dernier qui est au centre de toutes les lettres, qui oscillent entre le lyrisme et le cynisme le plus effrayant. On oublie souvent que celui qui tient la plume est un homme, ce qui rend cette entreprise d’autant plus audacieuse et intéressante.

Un roman superbement écrit, parfaitement maîtrisé jusqu’à la fin qui semble pourtant partir en n’importe quoi, drôle, jouissif, caustique et plein d’esprit. Je ne serais pas étonnée qu’il ait le Goncourt, d’autant que j’ai eu un signe : l’autre jour, alors que j’étais plongée dans ma lecture, un rayon de soleil, filtrant à travers les pampilles de ma lampe de chevet, a projeté sur les pages un arc-en-ciel :

Jauffret

S’il a le Goncourt, vous pourrez m’appeler la Pythie !

Cannibales
Régis JAUFFRET
Seuil, 2016

En complément, mon interview de l’auteur :