Cartographie de l’âme

La résistance au bois n’est pas la même selon l’endroit où l’on enfonce le clou : le bois n’est pas isotrope. Moi non plus ; j’ai mes « points exquis ». La carte de ces points, moi seul la connais, et c’est d’après elle que je me guide, évitant, recherchant ceci ou cela, selon des conduites extérieurement énigmatiques ; j’aimerais qu’on distribuât préventivement cette carte d’acupuncture morale à mes nouvelles connaissances (qui, du reste, pourraient l’utiliser aussi pour me faire souffrir davantage). (Roland BARTHES, Fragments d’un discours amoureux)

Dans le chapitre « l’Ecorché » de ses Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes expose cette théorie d’une cartographie des sentiments et de la souffrance, qui fait que le sujet amoureux est particulièrement sensible aux blessures les plus légères, ou en tout cas qui apparaissent les plus légères, selon ce qu’il a vécu. Ce qui l’a blessé antérieurement. Et je réfléchissais l’autre jour à l’idée que oui, j’aimerais pouvoir distribuer mon mode d’emploi aux gens, cette cartographie de l’âme aussi importante que celle du corps, afin qu’ils évitent de me blesser sans forcément le faire tout à fait exprès. Eviter d’appuyer sur un point sensible mal guéri même si je croyais que si.

J’y réfléchissais parce que, l’autre jour, je me suis violemment disputée avec une personne, qui ne fait absolument pas partie de ma vie et dont le jugement, objectivement, m’importe peu, ce qui fait que celui qui m’a dit je ne vois pas pourquoi tu te mets dans un tel état pour ça a parfaitement raison. Mais voilà, j’ai pourtant éclaté en sanglots et sur le coup, j’ai pensé que c’était parce que ce qui avait été touché par cette personne qui me reprochait de mal faire certaines choses, c’était ma confiance en moi, largement défaillante. Et c’est vrai : malgré les apparences, je n’ai absolument pas confiance en moi, mais cette fragilité, je ne la montre qu’à très peu de gens. Et cette personne a donc donné un coup de poing dans une première plaie à vif.

Mais elle a aussi dit un autre truc, dont je n’ai compris qu’une semaine après que ça aussi, ça m’avait fait très mal : elle me reprochait de ne pas communiquer. Et oui, ça aussi c’est une de mes failles : la tendance au mutisme, surtout lorsque je suis en pleine période de doute. Là encore, ça ne se voit pas parce que lorsque je me sens en danger j’ai tendance à remplir le silence de piapiatages inessentiels.

Alors voilà, je suis fragile, pleine de doutes, je ne sais pas dire les choses, j’ai besoin qu’on me rassure, tout le temps, parce que j’ai peur. Peur qu’on ne m’aime pas, peur qu’on m’abandonne, peur de ne pas être assez ou d’être trop. Je ne dis jamais aux gens que j’aime que je les aime.  J’y travaille. Parce que c’est important. Mais je suis un être d’écrit et non d’oral. Et puis, surtout, dévoiler son âme, c’est se mettre en danger. Le risque de l’aliénation et du malheur. Et puis, je suis écrivain. Je suis hypersensible. Comme disait Flaubert, je suis doué[e] d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire. 

Les jolis garçons, de Delphine de Vigan

Tous les hommes m’ont quittée…

J’étais pour ma part convaincue d’une chose : par définition l’amour emporte, accapare, renverse, et rien d’autre ne vaut la peine.

J’ai découvert ce titre sur le blog de Lili et je me suis dit que c’était une lecture pour moi. Je l’ai donc lu hier et… je suis totalement déconcertée. C’est rare, mais je ne sais pas trop quoi en dire. Sans doute parce que, à dire vrai, je me suis quand même pris un magistral coup dans la figure et que forcément, ça fait mal. Très mal.

La narratrice, Emma, a environ trente ans, et semble souffrir d’une incapacité totale aux relations amoureuses : « Ce sont les hommes qui m’ont quittée. Les hommes m’ont quittée parce que j’en demandais trop, ou pas assez. Parce que je ne savais pas dissimuler le trouble, ni la fragilité, ou parce qu’au contraire je me tenais trop loin d’eux. Les hommes m’ont quittée parce que j’avais peur de les perdre ou parce que je m’en foutais. Les hommes ne m’ont jamais laissé le temps« . C’est un exemple des nombreuses phrases qui font mouche, et qui semblent vous dire « j’ai été écrite pour toi« . Emma, donc, souffre de manque d’amour, a l’intuition que c’est la chose la plus importante au monde pourtant, mais elle n’y parvient pas.

La souffrance amoureuse

Dans la vie d’Emma, trois hommes passent, à des moments différents : Mark, Ethan, Milan. Trois histoires totalement différentes (j’ai du mal à écrire « histoires d’amour » d’ailleurs, parce que ce n’est tellement pas ça…). Trois histoires où elle souffre. Trois histoires qui, les unes comme les autres, ne sont finalement construites que sur du vent. Alors forcément, quand ça s’écroule… je dois avouer que la première surtout m’a déstabilisée : parce qu’elle y dit tout le manque de l’autre quand il n’est pas là, l’attente, la mise entre parenthèses de sa propre existence, l’impression que les autres ne comprennent pas, l’abnégation. Elle y dit tout, on s’identifie totalement. Alors quand on découvre la vérité… enfin je n’en dis pas plus pour ne rien dévoiler, vous me direz…

Donc c’est un magnifique roman, extrêmement bien écrit, mais extrêmement déstabilisant aussi et pour le coup, je ne suis pas sûre de savoir si j’ai aimé ou non. En tout cas, c’est le genre de lectures qu’on n’oublie pas !

(ah oui et un dernier bémol : je trouve le titre pas vraiment adapté…)

Les Jolis Garçons (lien affilié)
Delphine DE VIGAN
Lattès, 2005 (Livre de poche, 2010)