Consentir à l’amour
Vous verrez, mon amour, au début, le bonheur est aussi fort qu’une douleur, cela déchire tellement qu’on souffre… C’est un coup mortel pour l’orgueil de se savoir autant lié à l’autre… Il faut consentir à aimer.
Nous sommes au XVIIIème siècle. La duchesse de Vaubricourt a convié chez elle un assemblage assez hétéroclite de femmes, afin de mener à bien un projet d’envergure : juger Don Juan, dont elles sont toutes les victimes, et l’obliger à épouser sa dernière conquête, la très jeune Angélique. Le séducteur, contre toute attente, accepte…
Quelle merveille ! J’en suis encore toute retournée ! Il y a tout dans cette pièce : c’est très fin et très drôle, le style est alerte, j’aurais pu tout noter tant les répliques font mouche à chaque fois, c’est à certains moments très grivois, et j’ai franchement ri.
L’amour et le bonheur
Au début. J’ai également été admirative devant la richesse intertextuelle : Molière, mais aussi Da Ponte (avec la référence à l’air du catalogue), Barbey d’Aurevilly, Musset… J’ai aimé voir ici un Don Juan sans âge, incarnant parfaitement le mythe, et en même temps vieillissant et lassé de ses turpitudes.
Surtout, j’ai été touchée par cette pièce souvent poétique et lyrique, mélancolique, remarquable dans l’analyse des sentiments, où Sganarelle n’est plus un pédant ridicule mais la conscience grave de son maître, et où l’auteur nous offre une scène belle à pleurer avec Angélique, sur le thème de l’amour et du bonheur.
Le mythe de Don Juan, pour moi, c’est l’homme qui aime, totalement, mais qui n’arrive pas à trouver l’objet unique qui sera digne de cet amour, et seule la pluralité des femmes peut combler le vide laissé par celle qui lui manque et qu’il cherche désespérément sans la trouver. Dom Juan, c’est la tragédie de l’âme qui ne trouve pas son âme sœur…
Et bien ici, Schmitt va encore plus loin que moi et nous propose un Don Juan qui non seulement commet l’erreur de chercher l’agapè (l’amour des âmes) dans l’eros (l’amour des corps) et confondait les deux, mais en plus, se trompait carrément d’objet.
Ou, plus exactement : sa punition est de rencontrer l’amour parfait qui le comble sous une forme qu’il ne peut pas désirer physiquement.
C’est magistral…
La Nuit de Valognes (lien affilié)
Eric-Emmanuel SCHMITT
Actes-Sud, 1991 (Magnard, 2005)









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