Survivre aux drames
Même si je ne m’étais jamais entendue avec elle, j’avais le vague souvenir de l’avoir beaucoup aimée dans ma petite enfance. Mais la mort de mon père dans un accident d’avion le jour de mes treize ans, puis celle de ma sœur deux ans plus tard avaient nettoyé au napalm tous les liens familiaux. Après l’onde de choc, chacun s’était mis à marcher mécaniquement dans des directions différentes, sans regarder en arrière.
Il y a des textes qui nous arrivent par surprise, sans qu’on s’y attende, sans qu’on les attende. C’est le cas de celui-ci, que j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres. Je ne l’avais pas remarqué parmi les parutions de la rentrée de janvier, mais l’attaché de presse a dû penser qu’il me plairait, et il a bien fait. Dans ce texte, Marie Lebey, dont c’est le quatrième roman, traite du sujet au combien complexe et parfois douloureux des relations familiales.
Mouche’, c’est la contraction de mouchka, qui signifie bonne-maman en russe : c’est comme cela que l’appellent, derrière son dos, les trois garçons de la narratrice. Drôle du surnom, pour une drôle de femme et de mère : marquée par deux drames successifs, la mort de son mari et celle deux ans plus tard de sa fille aînée, elle se réfugie dans les arts et la littérature pour se couper du monde, oubliant un peu au passage la fille qui lui reste et qui tente, elle, de se construire comme elle peut.
Portrait de femme
Avec ce roman, Marie Lebey nous offre un magnifique portrait de femme, celui de sa mère. La dimension autobiographique est évidente, et assumée.
Mais ce n’est ni un règlement de compte, ni un portrait à charge, même si l’ironie est souvent sensible. Non, c’est un portrait à la fois drôle et touchant, très tendre et émouvant. Car, de fait, comment de pas être ému par cette femme qui ne conçoit la réalité qu’à travers le filtre de la littérature et des arts, au point de devenir, sous la plume de la narratrice, une nouvelle incarnation de la madame Verdurin proustienne (Proust est d’ailleurs très présent dans le texte, figure tutélaire et inspiratrice), beaucoup plus sympathique néanmoins ?
Et puis, à travers cette figure maternelle, c’est elle aussi que la narratrice peint. Elle, qui a du mal à se construire et qui, débordant d’imagination, se rêve en marquise des Anges multipliant les amants, avant de rencontrer son footballeur de mari et d’expérimenter à son tour toute la complexité d’être mère. Bref, j’ai beaucoup aimé ce petit roman très bien écrit, dans un style vif, qui mérite d’être découvert.
Mouche’ (lien affilié)
Marie LEBEY
Leo Scheer, 2013









Répondre à titoulematou Annuler la réponse.