Représentations médiatiques de la beauté féminine

Je vous avais promis de vous reparler de cette matinée d’étude que j’ai animée à l’occasion de la deuxième édition du festival des médiatiques. Voici donc mon compte-rendu de cette double conférence que j’ai trouvée passionnante et enrichissante, grâce à deux intervenantes de haut niveau, qui ont su capter leur auditoire avec leurs interventions à la fois claires et pédagogiques, et de haute teneur.

Les femmes, invisibles ?

Dans mon introduction, j’ai commencé par mettre en perspective le thème de cette matinée avec le programme général du festival, « Visibles/Invisibles. Représentations médiatiques de la société française contemporaine » : je suis partie sur le fait qu’a priori, les femmes sont loin d’être invisibles dans la société : sur-représentées dans la publicité et les magazines, leur image est partout, ce que n’ont pas manqué de noter dans leurs essais Nancy Huston (Reflets dans un oeil d’hommeet Virginia Woolf (Une Chambre à soi).

Pourtant, il faut s’interroger plus avant sur cette visibilité et en mettre au jour les ambiguïtés. L’insistance sur certaines caractéristiques du corps et de la beauté ne masque-t-elle pas, au fond, un désir de rendre la femme invisible dans sa complexité et sa diversité, et d’imposer un modèle de féminité stéréotypé, seul visible, rendant par là les autres invisibles ? De la réduire à une apparence ?

Il y a bien, dans notre société, une tyrannie des apparences, et une volonté évidente, bien que partiellement inconsciente peut-être, de renvoyer grâce à elle les femmes à leur statut subalterne et mineur.

En faisant accepter aux femmes cette idée que l’essentiel de leur valeur dépend de leur beauté, et d’une beauté normalisée même si les canons évoluent d’une époque à l’autre, comme nous le montre l’ouvrage de Georges Vigarello Histoire de la beauté, n’oblige-t-on pas les femmes à rester dans ce rôle d’objet passif du regard masculin ? 

Étrange constat : alors que le discours aussi bien marketing que médiatique nous affirme que l’heure a sonné pour les femmes d’être ce qu’elles veulent, le fait est que reste ancrée l’idée reçue qu’une femme n’est rien si elle n’est pas belle, et même s’il est prétendu partout que le « devoir de beauté » des femmes est dépassé, il est pourtant toujours là.

D’autant plus insidieux que, comme l’affirme l’anthropologue Bruno Rémaury dans Le Beau Sexe faible en 2000 : « La démocratisation des techniques du soin de beauté […] a provoqué un changement radical dans le discours en faisant passer la femme d’un « vous devez être belle » commun à toutes les époques » à un « vous pouvez être belle, si vous le voulez ». »

Quel que soit son métier, il semble qu’une femme doive être en représentation permanente, et que son talent et ses compétences soient parfois moins importants (et invisibles, donc) que sa coiffure et sa tenue vestimentaire, eux bien visibles. Minceur, blancheur, blondeur, tels sont les traits caractéristiques souvent mis en avant comme norme dont il n’est pas bon de s’écarter.

Réduire l’autre représenté à un stéréotype, à une image figée, c’est le discipliner, le domestiquer, le dominer, le contrôler. C’est aussi la conclusion de la journaliste Mona Chollet dans son essai Beauté Fatale paru l’an dernier, dans lequel elle analyse l’image de la femme dans la presse féminine.

La beauté et le corps féminin dans la presse

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J’ai ensuite laissé la parole à l’historienne Claire Blandin, spécialiste en histoire des médias, histoire culturelle du XXe siècle et histoire des femmes et du genre, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris-Est-Créteil Val de Marne et secrétaire de la revue Le Temps des médias, pour nous parler des représentations de la beauté et du corps féminin dans la presse magazine.

Pour son exposé, elle s’est appuyée sur un vaste corpus de publicités paru dans ELLE au milieu des années 60, en se demandant si, en cette période de deuxième vague du féminisme les magazines féminins accompagnent ou non les revendications des femmes.

Après une première partie consacrée à l’histoire de la presse magazine, Claire a esquissé une typologie des différentes manières de représenter les corps féminins dans la publicité des années 60 : des corps dans l’intimité de la vie conjugale, le rôle sacré de la mère de famille, l’importance de tenir sa maison, les relations mère-fille, les corps morcelés, les corps nus, l’injonction à porter certains vêtements, à être mince et jeune, tout cela, bien souvent, sous le regard des hommes.

La conclusion de tout cela, si l’on en revient à la problématique qui était de savoir comment les médias accompagnent l’évolution des normes sociales, est que la publicité (et le reste du magazine, soumis aux annonceurs) ne fait que s’emparer des représentations majoritaires et entériner les évolutions, mais ne les accompagne pas.

Représentations médiatiques de la beauté noire

Jean-Paul Goude Grace en cage, photo peinte, Roseland Ballroom, New York, 1978.
Jean-Paul Goude Grace en cage, photo peinte, Roseland Ballroom, New York, 1978.

Ensuite, Virginie Sassoon, docteur en Sciences de l’information et de la communication, qui travaille actuellement à l’Institut Panos comme experte associée, nous a parlé des représentations médiatiques de la beauté noire, sujet qui était celui de sa thèse.

Après une mise en perspective historique au cours de laquelle elle a insisté sur certaines caractéristiques associées aux femmes noires, notamment la nudité et l’animalité, et montré que les femmes noires sont finalement peu représentées dans le monde de la mode et des cosmétiques, elle s’est attachée au contenu des magazines féminins et en particulier de la presse féminine noire.

Trois publications ont retenu son attention : Amina, le titre historique, dont la beauté n’est pas au centre des préoccupations mais qui consacre beaucoup d’encarts publicitaires aux produits blanchissants ; Miss Ebènele leader notamment chez les jeunes, très influencé par les stars afro-américaines qui sont pour la plupart métisses et qui semble légitimer les critères hégémoniques de la beauté féminine blanche ; enfin Bruneau lectorat plus confidentiel, mais qui marque une certaine distance avec les annonceurs.

Comme on le voit, la presse féminine noire, là où on s’attendrait à une volonté de se démarquer des stéréotypes, semble au contraire les entériner.

Nous avons enfin consacré un moment aux échanges avec le public, qui avait de nombreuses questions fort intéressantes. Pour ma part, j’ai vraiment apprécié cette matinée qui m’a permis d’apprendre beaucoup de choses, comme vous pouvez le constater !

6 commentaires

  1. Miss Blemish dit :

    Ton article est EXCELLENT ! Vraiment. Premièrement parce qu’il m’a appris beaucoup de choses (et j’adore apprendre) mais surtout parce qu’il remet certaines choses en perspective. Force est de constater que cette « maxime » : « l’essentiel de leur valeur dépend de leur beauté » est bien entérinée dans les consciences et j’avoue non sans honte ne pas faire exception. Paradoxalement, je ne fais pas « attention » au physique des autres femmes, je n’ai pas « d’oeil critique » vis à vis d’elles (hormis pour penser « oh mais qu’elle est belle/mince/grande/athlétique ») comme vis à vis des hommes (en fait je m’en contrefiche de l’apparence des autres, après tout ils ne l’ont pas choisie et ça ne les définit pas en tant que personne), en revanche, vis à vis du mien (de physique), je suis sans pitié.
    Et la société, notre culture, notre éducation n’y seraient pas totalement étrangers ? Pffiou, ça enlève une sacrée culpabilité…
    Bises

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    1. L'Irreguliere dit :

      Merci, contente de t’avoir appris des choses et déculpabilisée !

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  2. Elisabeth dit :

    Cela devait être une bien belle journée !!!

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    1. L'Irreguliere dit :

      Épuisante, mais passionnante !

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