Nue, de Catherine Bernstein

Daté de 2008, Nue de Catherine Bernstein s’inscrit dans une série de courts-métrages produite par Arte et visant à questionner la représentation du corps au cinéma.

Fait rare, la réalisatrice se met elle-même en scène dans ce qui est à la fois un documentaire et une autofiction. Sous l’oeil de la caméra tenue par sa fille, à qui elle s’adresse, elle est allongée, nue, et raconte son corps par fragments, par morceau. Ses cuisses, ses seins, ses fesses, ses sourcils, ses cicatrices.

Un corps vieillissant, loin d’être parfait, mais qui apparaît ici magnifique, parce qu’il est aimé, et parce qu’il a une histoire, qu’il a vécu, qu’il a donné la vie.

L’enjeu est ici le gouffre entre le corps réel et le corps sublimé, magnifié, parfait que nous montre la publicité. Mais aussi le gouffre entre la vision féminine du corps et la vision masculine : la femme, comme le fait le personnage de Brigitte Bardot dans Le Mépris, voit son corps par fragments, ses sourcils trop épais, ses cuisses trop larges, son ventre qui n’est plus plat depuis sa maternité.

L’homme, lui, dans l’amour, voit le corps dans son ensemble, l’aime entièrement, et n’en voit pas les défauts qui pourtant obsèdent la femme. Comme Baudelaire dans son poème « tout entière » :

« Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute,
Me dit : « Je voudrais bien savoir

Parmi toutes les belles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,

Quel est le plus doux. »– O mon âme !
Tu répondis à l’Abhorré :
« Puisqu’en Elle tout est dictame
Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j’ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l’Aurore
Et console comme la Nuit ;

Et l’harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l’impuissante analyse
En note les nombreux accords.

O métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un !
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum! » 

Jouant d’une profondeur de champ très réduite qui crée un halo flou enveloppant le corps et de couleurs très douces, ce film n’est jamais impudique, jamais voyeur, jamais vulgaire malgré la nudité assumée, c’est un enchantement poétique et en même temps un vrai travail de réflexion et d’acceptation de soi.

J’en ai été très touchée, et quelques filles sont venues m’en parler ensuite : d’abord déconcertées qu’on leur montre ça, elles ont ensuite été émues par cette manière à la fois pudique et sincère de se mettre en scène, et à un âge où le corps devient souvent un ennemi, je trouve cela particulièrement important !

Nue
Catherine BERNSTEIN
Paris-Brest Productions, France, 2008

7 commentaires

  1. de Mérignac dit :

    L’intensité de vos articles est très variable . Celui que vous publiez aujourd’hui est
    particulièrement intéressant. Catherine Bernstein est un écrivain que je suis depuis
    un moment. Vous avez bien rendu ce qu’elle essaie de transmettre à ceux et surtout à celles qui suivent son travail. Bravo donc pour ce supplément d’âme .

    J’aime

  2. lorouge dit :

    La perfection aseptisée est une abérration… De toute façon un leurre qui n’existe pas… Nos corps sont un tout et pourtant, chaque petite cicatrice, chaque kilos pris, chaque petite imperfections ont chacunes une histoire… Tout fait sens… Voilà un tout petit film que j’aimerais beaucoup voir !!

    J’aime

    1. L'Irreguliere dit :

      Il est sur youtube (mais à mon avis pas de manière très légale…)

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.