Histoire d’un corps
Parle tout de suite avant qu’il ne soit trop tard, et puis espère pouvoir continuer à parler jusqu’à ce qu’il n’y ait rien à dire. Il ne reste plus beaucoup de temps, finalement. Tu fais peut-être bien, pour l’instant, de mettre tes histoires de côté et de tenter d’examiner les sensations qui te viennent de vivre dans ce corps depuis le premier jour où tu te souviens de t’être senti vivant jusqu’à aujourd’hui. Ce qu’on pourrait appeler une phénoménologie de la respiration.
Paul Auster ne fait pas dans l’autobiographie traditionnelle. Dans Le Diable par la queue, il se remémorait sa vie à travers le prisme des fluctuations de son compte en banque. Ici, il s’intéresse au corps : à 64 ans, celui-ci commence à péricliter, et l’auteur se met en quête des différentes sensations qui lui ont été données à vivre, les plaisirs comme les douleurs. L’histoire d’un corps, sous forme de fragments qu’il s’adresse à lui-même.
Je suis totalement tombée sous le charme de ce petit texte, dont le propos et la forme originale permettent d’éviter les écueils de l’autobiographie traditionnelle, et notamment celui d’une linéarité parfois ennuyeuse.
De l’ordre dans le chaos
Pas de récit chronologique ici : les souvenirs s’égrainent dans une progression que j’ai envie d’appeler rhizomatique, l’auteur tente de mettre de l’ordre dans le chaos que constitue toute existence humaine (et c’est une des magies de la littérature : donner à la vie la cohérence qu’elle n’a pas), mais pour cela a besoin du désordre de l’écriture fragmentaire, des paragraphes qui se succèdent sans qu’on sache toujours comment, n’étant pas liés chronologiquement ni même toujours thématiquement, certains de quelques lignes et d’autres de plusieurs pages.
Tout ce que je dis là, c’est ce qu’on reproche finalement à Paul Auster (enfin, ce que certains lui reprochent), et qui moi m’a séduite, car j’ai apprécié justement cette esthétique assez proche d’un Montaigne, qui laisse courir sa plume au gré de ses pensées.
Et puis, il faut bien le dire, tout cela est passionnant : on passe par beaucoup d’émotions, la tristesse, l’amusement, la tendresse, et au travers de ce texte Paul Auster se donne à voir avec beaucoup de sincérité. J’aime particulièrement lorsqu’il parle de sa femme. Je regrette, en revanche, qu’il ne parle pas assez de son travail d’écrivain.
Chronique d’hiver constitue le premier volet d’un diptyque, et je vous en conseille vraiment la lecture, d’autant qu’il faut bien l’avouer, Paul Auster est tout de même canon sur la photo de couverture (oui, c’est important)
Chronique d’hiver (lien affilié)
Paul AUSTER
Actes Sud, 2013









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