Les illusions du cœur
Près de cinq ans ! Et par moments peut-être au cours de cette après-midi Daisy s’était-elle montrée inférieure à ses rêves – mais elle n’était pas fautive. Cela tenait à la colossale vigueur de son aptitude à rêver. Il l’avait projetée au-delà de Daisy, au-delà de tout. Il s’y était voué lui-même avec une passion d’inventeur, modifiant, amplifiant, décorant ses chimères de la moindre parure scintillante qui passait à sa portée. Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité ce qu’enferme un homme dans les illusions de son cœur.
Il est des romans sur lesquels on fantasme longtemps avant de les lire, un peu comme Gatsby avec Daisy, un peu comme ça se passe toujours en amour.
Mais Fitzgerald étant l’un de mes écrivains américains préférés, notamment grâce à Tendre est la nuit qui est selon moi un chef-d’œuvre, il fallait un jour que je me lance, et comme le film de Baz Luhrmann est en ouverture du festival de Cannes, je me suis dit que le moment était bien choisi.
Je me suis d’abord lancée en VO, avec une vieille édition que j’avais depuis de nombreuses années. Mais c’est un fait malheureux : si habituellement je lis assez facilement l’anglais, l’écriture de Fitz, pour une raison que j’ignore, me résiste (blocage sans doute personnel, car on m’a affirmé que ce n’était pas extrêmement difficile), et j’ai dû m’aider de la traduction.
Nick Carraway, le narrateur, se rend à New York pour travailler dans la finance comme agent de change. Il loue une petite maison à Long Island, zone résidentielle très huppée et snob de la banlieue new-yorkaise. Sa demeure, presque invisible, est située dans West Egg, entre deux énormes et luxueuses villas, dont celle de Jay Gatsby, un mystérieux milliardaire au passé trouble qui organise de somptueuses fêtes…
New-York est une fête
Ce roman est une pure merveille : il en émane ce qui me fascine tant chez Fitz, une idée du luxe comme un art de vivre, un certain regard sur les riches et les puissants, avec ce drôle de milliardaire (que je n’arrive pas à imaginer autrement que sous les traits de Robert Redford, ce qui n’est pas très gentil pour Leo, mais de fait je n’ai jamais beaucoup fantasmé sur Leo), les fêtes (il y a chez Fitz ce que j’appellerai une poétique de la fête, qu’il décrit merveilleusement et avec un bonheur sensible), le champagne qui coule à flots, les Rolls.
Tout le glamour d’un monde en déclin. Splendeur et misère. Rise and fall. L’insouciance n’est que façade : les rires fusent, les robes chatoient, la musique noie les conversations, et pourtant il règne une étrange mélancolie fin de monde.
La question centrale ici est celle du passé : peut-on le ressusciter ? Et notamment le passé amoureux ? Gatsby rêve que oui. Affirme que oui. Mais se heurte à la réalité.
La vie nous entraîne toujours à la nostalgie, mais le passé demeure inaccessible. Ce roman est profondément triste et désespéré, comme l’était Fitz lui-même (j’en reparlerai samedi), il touche au tragique de l’existence et de l’amour.
Mais c’est un magnifique, que dis-je, sublime roman, tissé de symbole, et d’une richesse exaltante !
Gatsby le magnifique (lien affilié)
Francis Scott FITZGERALD
Le livre de Poche (édition qui propose en sus la correspondance de Fitz avec son éditeur à l’époque de la publication du roman, et c’est fascinant)









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