Et si…
Comment expliquer à Harold que, chaque fois que les mots voulaient bien me laisser, j’étais vide comme une cosse oubliée sur le sol de la grange ? Vide comme une femme après une fausse couche ? Impossible de dormir dans un tel état. Impossible de ne pas se haïr soi-même, sachant que les mots s’étaient irrémédiablement répandus, qu’on ne pouvait pas les reprendre, que Leonard me forçait à imprimer alors que c’était une horreur — des mots dérisoires, morts, sans arts, mortifiants ? Je voulais brûler mon livre, je voulais le noyer.
Et si Virginia Woolf n’était pas morte le 28 mars 1941, mais quelques jours plus tard ? Si, après avoir laissé sa lettre d’adieu devenue célèbre à Leonard, elle avait renoncé à se jeter dans la rivière et s’était réfugiée chez son amie Vita Sackville-West, fuyant quelque chose ? Tel est le point de départ de ce thriller littéraire.
Peu après le suicide de son grand-père, Jo Bellamy, une paysagiste américaine, s’envole pour l’Angleterre et le conté du Kent. Plus précisément, elle doit se rendre à Sissinghurst, le château de Vita Sackville-West et de son mari Harold Nicolson, afin d’étudier le fameux Jardin Blanc, qu’elle doit reproduire pour un riche client.
En fouillant dans les archives des jardiniers, elle tombe sur un étrange cahier manuscrit, « Notes sur la conception d’un jardin blanc ». Mais le cahier ne parle pas de jardinage : il s’agit d’un journal intime, commencé le 29 mars 1941, qui semble bien avoir été écrit par Virginia Woolf. Et qui ne semble pas sans liens avec Jock, le grand-père de Jo…
Resusciter Virginia Woolf
Extrêmement bien construit et mené d’une main de maître, ce roman est un parfait divertissement difficile à lâcher une fois qu’on l’a ouvert.
Le point de départ est assez saisissant et intrigant, tout en restant finalement cohérent : Virginia Woolf a quitté Monk’s House le 28 mars 1941, mais son corps n’a été retrouvé que plusieurs jours après, et c’est dans cette brèche temporelle que s’engouffre Stephanie Barron pour lui prêter vie un peu plus longtemps que le dit l’histoire.
Sur le bord de l’Ouse, elle entend des oiseaux chanter en latin « Vita » — le prénom de son amie, et le mot vie (on notera que dans Mrs Dalloway, les oiseaux chantent en grec) — et elle y voit un signe.
Ce qui échappe d’abord au lecteur, c’est la raison de sa fuite : Leonard était-il un tel monstre (comme tendent à le penser certains) ?
Tout l’enjeu est là : retrouver les raisons de cette fuite. Et les causes réelles de la mort de Woolf. Commence alors une enquête, qui mènera Jo, accompagnée d’un séduisant spécialiste en manuscrits et livres rares de chez Sotheby’s, d’Oxford à Cambridge, en passant par Charleston, la demeure de Vanessa Bell, et Monk’s House.
Émaillé de références artistiques et littéraires, notamment au groupe de Bloomsbury, et en particulier bien sûr aux œuvres de Woolf elle-même, dont Stephanie Barron parvient assez bien à épouser le style dans les passages du cahier, ce roman recèle bien des richesses et des surprises.
Néanmoins, je dois avouer que je n’ai pas totalement compris tous les tenants et aboutissants des faits racontés (mais cela m’arrive fréquemment dans ce type de lecture : je manque totalement d’esprit de déduction et de logique). Et la liste de questions pour le lecteur, à la toute fin, m’a laissée perplexe : on aurait cru une interrogation de lecture !
Mais ces bémols ne gâchent pas mon impression globalement positive : ce roman est un bon divertissement, que je recommande notamment à ceux qui apprécient Virginia Woolf.
Le Jardin Blanc (lien affilié)
Stephanie BARRON
Nil, 2013









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