Trois femmes nées au tournant du siècle, entre 1871 et 1914. Trois fortes têtes, avec un point commun : une hyper-mère. Une mère majuscule, excessive, toute-puissante. Fusionnelle, autoritaire, manipulatrice. Une mère qui les a aimées. Fort, trop, mal. Ces trois écrivains se connaissaient, se croisaient parfois… Elles ignoraient qu’elles partageaient ce point commun. Nous les avons réunies dans ce que l’on pourrait appeler, pompeusement, un triptyque biographique.
Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, Colette, trois auteures essentielles dont je connais assez mal les textes. L’écriture durassienne me résiste, et si j’ai adoré L’Amant, je suis restée perplexe devant L’Homme assis dans le couloir. De Beauvoir, qui a souffert de l’écrasante figure sartrienne, je n’ai lu que Le Deuxième sexe (mais lu attentivement, j’en ai même fait l’objet d’une communication). Quant à Colette, je l’ai peut-être découverte trop jeune, à 13 ans, avec Claudine à l’école, et je ne connais d’elle que des textes épars.
Mais cela n’est pas du tout gênant pour se plonger dans cette triple biographie, axée sur leurs relations avec leurs mères.
Biographie subjective : l’auteure, Sophie Carquain, semble devenir elles, éprouver ce qu’elles éprouvent, et n’hésite pas, à l’occasion, à établir des parallèles avec ses propres relations avec ses filles, tout comme elle n’hésite pas à établir des correspondances entre les trois femmes, par le biais notamment de scènes obsédantes comme celle du miroir dans lequel s’observent les adolescentes. Un peu à la manière de Michael Cunningham dans The Hours (référence explicite).
L’ensemble est, évidemment, très psychanalytiquement orienté, ce qui peut parfois laisser songeur (j’ai déjà dit combien j’étais méfiante envers la psychanalyse ?) et je pense que nos trois écrivaines n’auraient pas forcément aimé se voir mettre à nue comme cela.
Mais pour le lecteur, c’est passionnant : à la vérité factuelle, toujours épineuse dans ce genre d’ouvrages, se substitue une vérité plus profonde, celle de l’âme, et celle de l’artiste : car ce qui est en jeu ici, c’est bien une plongée au cœur d’un imaginaire créateur et la révélation d’un processus d’écriture par ses images obsédantes.
Comment, finalement, la figure maternelle joue un rôle majeur dans la construction de soi (on le savait déjà, et le livre le montre notamment sur la question du corps), mais aussi dans la naissance de l’écriture, et l’ouvrage est émaillé de nombreuses citations extraites des œuvres de nos trois autrices.
Mais ces trois femmes sont aussi, si l’on va plus loin, des exemples emblématiques du rapport fille/mère, et si elles sont intéressantes, c’est aussi parce qu’elles en ont témoigné. Chacune des mères incarne, finalement, un archétype : la mère ambivalente de Duras, la mère autoritaire, sorte de « Big Mother » voulant tout savoir, de Beauvoir, la mère fusionnelle de Colette.
Cela laisse songeur, et je pense que l’on ne lira pas ce livre de la même manière selon que l’on est soi-même mère ou non. Mère, je pense qu’il m’aurait angoissée, tant j’ai eu l’impression que quoi qu’on fasse, c’est mal. Non mère, il m’a juste passionnée.
Maintenant, j’ai envie de découvrir plus avant nos trois romancières…
Duras, Beauvoir, Colette : trois filles et leurs mères (lien affilié)
Sophie CARQUAIN
Charleston, 2014









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