J’ai rencontré Caroline N. Spacek cet été torride, il y a un an. Après avoir lu tous ses livres d’une traite, j’avais fini par lui envoyer une lettre via sa maison d’édition lui demandant si elle accepterait de m’accorder une interview. L’interview s’est avérée tellement longue que ce livre en a découlé — puisque je suis arrivé chez elle un après-midi de juillet et reparti seulement en septembre, au terme de neuf semaines passées avec elle sous sa véranda à boire et parler et boire et parler et remettre inlassablement des piles dans le dictaphone.
Cela faisait un petit moment (depuis sa sortie en fait) que je tournicotais autour de ce roman sans oser me lancer, sachant intuitivement qu’il serait probablement un coup de poing dans l’âme. Et puis, Julia Kerninon a été reçue par Augustin dans Le Carnet d’or, en même temps que Martin Page, et comme je manquais un peu d’inspiration j’ai sauté le pas.
C’est donc l’histoire d’une rencontre entre un grand écrivain, Caroline N. Spacek, et le narrateur, un étudiant, Lou. De manière mystérieuse, alors qu’elle vit recluse en Angleterre et qu’elle refuse de parler aux journalistes, Caroline invite Lou à venir lui rendre visite, et peu à peu ce qui n’était qu’une interview devient une véritable confession…
Je ne suis pas d’humeur spécialement joyeuse en ce moment, on l’aura noté, mais le fait est que ce roman m’a fait pleurer à chaudes larmes. Et ce n’est pas une figure de style : cela fait longtemps qu’un roman ne m’avait pas fait sangloter comme ça. Parce qu’il parvient, avec beaucoup de justesse et de talent, à aborder des thèmes qui me touchent particulièrement.
Il y a d’abord la question de l’écriture, impérieuse, au point que Caroline tend à lui sacrifier sa vie amoureuse. Et pourtant, l’amour est bien là, l’amour absolu, et les deux sont liés : Jude, nouveau Pygmalion, fait d’une Caroline encore dans sa gangue un diamant pur (tout comme Piet, d’ailleurs héritier d’une lignée de diamantaires, le fait avec Lou). Il la façonne, la transforme, la fait grandir, la révèle à elle-même, jouant à la fois le rôle du père et de l’amant.
Au fur et à mesure des confidences de Caroline, une relation assez trouble s’établit entre elle et Lou, pour la raison que tous deux, finalement, sont sur des trajectoires similaires. Je me suis parfois demandé si tant d’horreurs dans leur passé était bien nécessaire, car on se croirait par endroits plongé dans En finir avec Eddy Bellegueule. Mais oui, c’est sans doute nécessaire, car ici l’écriture sauve.
Ou non. Caroline est fêlée, dans les deux sens du terme, et elle laisse donc passer la lumière mais cela la fait aussi plonger dans l’abîme. Et il y a la fin. Insoutenable.
Dans ce roman, son premier, Julia Kerninon fait donc un coup de maître et se pose en auteur d’avenir. Après, j’avoue, mais ça c’est parce que j’aime pinailler, que j’ai tiqué sur un point de cohérence : alors passons sur le fait que Lou ne sache rien des mariages de Caroline. Mais. Elle n’a épousé les deux hommes qui lui donnent son nom (Nuvoli Spacek) qu’après la publication de son premier livre. Or Lou a lu ce livre, mais sous quel nom l’a-t-elle donc publié ? J’avoue, je suis perplexe sur ce point.
Mais bref : jetez-vous dessus. Et faites une provision de mouchoirs !
Buvard (lien affilié)
Julia KERNINON
Rouergue, 2014









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