On tire des traits. On met des points finals. Mais ça n’est jamais tout à fait fini. On parvient rarement à réaliser cette coupure nette et propre que l’on souhaite. Parce que l’on n’est pas seul à jouer. Il y a l’autre. Qui rappelle. Qui ne veut pas se faire insulter quand même, même s’il est un salaud. Qui veut essayer, lui aussi, de terminer joliment son histoire, à sa manière, alors que de votre point de vue à vous, c’est trop tard pour que ce soit joli. Mais pas de son point de vue à lui. Il faut composer. On veut trancher et notre geste soulève un nuage de sciure impossible à balayer totalement. Qui pique les yeux. Rien n’est jamais tout à fait fini. Le seul trait que l’on puisse vraiment tirer, c’est lorsqu’on n’est plus en état de le faire. Occis. Et ça ne me déplaît pas, en réalité, ces fausses fins perpétuelles. L’hypothèse de la renaissance.
Celui qu’elle appelle l’homme slave, le père de son enfant, vient de mourir. Et l’histoire qu’elle a vécue avec lui est de celles qui doivent s’écrire. Alors c’est ce qu’elle fait : cette histoire, qui a duré plus de vingt ans, avec ses hauts et ses bas, ses déchirures et ses réconciliations, ses moments de bonheur et ses trahisons, cette histoire que l’on ne peut comprendre que si l’on a une dose de folie en soi, elle nous la raconte, en huit mouvements.
Comment dire à quel point cette histoire m’a bouleversée ? J’ai cette folie, indéniablement, qui m’a permis de comprendre, ô combien, ce qui se jouait là.
A la fois déclaration d’amour et autopsie d’un amour, ce roman est, de manière totalement assumée, autobiographique, et pourtant, il accède à l’universel. Murielle Magellan possède un talent indéniable pour mettre des mots sur les émotions — la douleur, la violence, le chagrin, mais aussi les moments lumineux, nous plongeant avec ses phrases au cœur de l’incohérence du sujets amoureux.
Il y a tellement de mots, tellement d’analyses, tellement de scènes aussi qui ont fait écho en moi, lorsque dans un moment de lucidité elle dit « je l’aimais toujours, mais je ferais ma vie sans lui », mais qu’elle revient à lui parce que « peu de temps avec cet homme valait plus pour moi que beaucoup de temps avec un autre ».
Cet homme, parlons-en : inconstant, instable, infidèle, il se conduit trop souvent comme un salaud. Et pourtant, la force de ce roman est de nous entraîner avec la narratrice dans son délire amoureux, et de nous le rendre attachant, complexe, insaisissable, et finalement pardonnable dans ce qui apparaît comme une terreur absolue du bonheur.
Quant à elle, cet amour difficile la façonne, la transforme, fait d’elle ce qu’elle est, sur le plan intime bien sûr mais aussi sur le plan créatif : très tôt, elle a l’intuition que cette histoire est une histoire à écrire, et l’homme slave est aussi pour elle un mentor, un pygmalion qui fait naître l’artiste en elle.
Alors, faut-il lire ce roman ? Oui, mille fois oui !
N’oublie pas les oiseaux (lien affilié)
Murielle MAGELLAN
Julliard, 2014









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