Le personnage de Cléopâtre m’a toujours fascinée, et l’étude du passage de l’histoire au mythe était d’ailleurs ma première idée de sujet de thèse. Non validée par mon chef, malheureusement (il estimais, sans doute à raison, qu’il n’y avait rien de neuf à dire sur le sujet). Pourtant, j’avais déjà une base de travail : le magnifique catalogue de l’exposition Cleopatra of Egypt : from history to myth organisée par le British Museum en 2001.
J’avais donc fébrilement noté cette exposition de la pinacothèque dans mon agenda, espérant néanmoins ne pas être déçue.
L’exposition s’organise en deux parties (dans deux bâtiments différents).
La première est consacrée à l’histoire, de Cléopâtre mais également de l’Egypte à son époque, avec une intéressante évocation de l’Egypte ptolémaïque et notamment les cultes funéraires, les dieux et les arts (à noter de magnifiques vitrines de bijoux). Est traitée également l’égyptomanie des Romains, pour qui ce pays représentait l’opulence, le luxe et une qualité de vie exceptionnelle, mais aussi la fertilité, thème qui suscite une grande fascination pour le Nil et pour les cultes isiaques.
Cette partie de l’exposition est particulièrement intéressante grâce à un très riche matériau, et notamment des fresques et des mosaïques de Pompéi et d’Herculanum prêtées par le musée archéologiques de Naples, qui m’ont beaucoup émue ; c’est tellement rare d’avoir l’occasion de les contempler en vrai que rien que pour ça, cette exposition vaut le détour.
La deuxième partie porte sur l’essor du mythe dans l’histoire des arts. Là, on entre plus spécifiquement dans mon domaine de compétence. En fait, le mythe de Cléopâtre femme fatale lascive et cruelle naît dès sa mort, avec la propagande augustéenne orchestrée par des auteurs comme Virgile, Properce ou Horace, qui vise à exalter la virtus romaine incarnée par l’empereur, et condamner la « mollesse » orientale incarnée elle par la reine et Marc-Antoine.
Ils seront plus tard relayés par Dante et Boccace. Au contraire, Plutarque célèbre en Cléopâtre une amoureuse exceptionnelle au destin tragique, et c’est cette vision qu’adopte Shakespeare dans sa pièce, faisant d’ailleurs dire au personnage que « de vils baladins / Feront de nous des chansons criardes ».
Mais l’aspect littéraire n’est pas tellement abordé dans l’exposition ; en revanche, une très grande place est accordée à la peinture, qui s’est particulièrement intéressée à la mort de Cléopâtre, thème qui permet aux artistes de s’en donner à cœur joie sur le motif d’Eros et Thanatos : enlaçant le serpent (très freudien…), adoptant des poses lascives, Cléopâtre a souvent plus l’air, sur les tableaux, proche de la petite mort que de la mort véritable.
De plus, pendant très longtemps (jusqu’au XIXème à peu près), elle n’a un aspect que très peu oriental ; à vrai dire, sur un des tableaux, j’ai trouvé qu’elle ressemblait à la Pompadour.
Outre la peinture, l’exposition s’intéresse d’une part aux arts de la scène (théâtre, opéra, ballets) avec bien sûr une large place accordée à Shakespeare : beaucoup de photographies (en particulier de Sarah Bernhard), de costumes, de maquettes, mais aussi des enregistrements sonores d’opéra ; et d’autre part bien sûr au cinéma, avec un excellent petit film sur les diverses interprétation, et la dernière salle de l’exposition consacrée aux costumes de Astérix et Cléopâtre et surtout le Cléopâtre de Mankiewicz.
J’ai, bien évidemment, pris un plaisir immense à visiter cette exposition qui, même si elle est moins riche que celle du British Museum, n’en est pas moins excellente.
J’ai néanmoins quelques regrets : d’abord le prix, mais ça c’est mon mantra, je trouve le prix d’entrée des expositions en général assez scandaleux. Mais admettons.
Ensuite, je regrette un peu qu’une plus large place n’ait pas été faite à la littérature, au moins par le biais d’un petit film comme celui sur le cinéma, car la littérature est évidemment extrêmement importante dans la constitution du mythe et son ancrage dans l’inconscient collectif, que l’on pense par exemple à Gautier ou à Pouchkine.
Enfin, concernant les tableaux, certaines grandes œuvres manquent, notamment celle de Moreau (sans doute pour des raisons de prêt) ; et il faudra m’expliquer pourquoi on a mis le pauvre tableau de Cabanel en retrais dans une vitrine située dans un coin sombre !
En tout cas, cette exposition vaut le détour. Néanmoins, comme j’ai beaucoup tardé à y aller, il ne vous reste vous-même que jusqu’à demain…
Le mythe de Cléopâtre
Pinacothèque de Paris
Place de la Madeleine (entrée de l’exposition Pinacothèque 2, rue Vignon)
Commissaire de l’exposition : Pr Giovanni Gentili avec la collaboration de Giovanni Villa, Massimiliano Capella et Enzo Sallustro
Jusqu’au 7 septembre









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