C’était il y a dix ans. C’est loin, dix ans. J’ai guéri. Il m’a guérie. On n’en meurt pas forcément, de ces chagrins-là. Parfois je me dis que ça n’a même pas laissé de trace, pas de cicatrice, pas de marque, rien, régénération, renouvellement des cellules, le cœur tout neuf, comme avant. Ce n’est pas tout à fait vrai, bien sûr. Pablo a fait du bon boulot, on ne voit pas les coutures, mais je sais bien reconnaître, moi, les premiers signes de l’effondrement : cette sensation bizarre, comme si je tombais, mais à l’intérieur de moi, quand je tombe, justement, par hasard, sur le visage de l’autre ; et cette colère assourdie, presque rassurante, mais toujours là, gravée en moi.
Si vous êtes comme moi et que vous êtes fidèles à la Grande Librairie, vous n’avez pas pu passer à côté, l’autre soir, de Justine Lévy. Touchante, émouvante Justine Lévy, malade de trac, horriblement mal à l’aise, jouant avec ses bracelets, l’air perdu d’une petite fille, demandant à Busnel (qui avait du coup un petit côté prof sadique) de répéter la question parce qu’elle n’avait pas écouté.
Si je n’avais pas déjà été en train de lire ce roman, je n’aurais pas résisté tant elle m’a émue.
Et, finalement, tout le roman est là, dans cette attitude qui se veut légère et détachée, mais cache des failles. D’ailleurs, souvent, on se trompe sur les gens : ce ne sont pas les plus gais, les plus apparemment désinvoltes et légers, qui sont les moins fragiles.
Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte, Louise décide que le plus important, pour ses futurs enfants, c’est qu’elle ne soit plus jamais triste : elle doit donc apprendre cette jolie chose qu’est la gaieté et qu’elle ne connaît pas vraiment. Et pour une mélancolique chronique abonnée aux crises d’angoisse, ce n’est pas si simple.
Ce texte, même s’il revient sur des événements douloureux, n’est pas sombre et porte bien son titre car, finalement, Justine Lévy parvient à dédramatiser et fait preuve d’une grande autodérision, que je trouve merveilleuse : mélancolique chronique, dépressive, elle parvient avec légèreté à se moquer de ses diverses addictions passées, à la cigarette, aux médicaments, tout comme elle parvient à se moquer de ses angoisses, ses angoisses de mère notamment qui finalement sont une sorte de pont entre son passé et son présent.
Car c’est bien la question de la maternité et de l’héritage familial qui est au cœur de ce roman : si, en devenant mère, Louise refuse de continuer à être triste, c’est qu’elle refuse d’être une mère comme la sienne l’a été.
Une mère qu’elle aimait, cela transpire du texte, mais une mère tout de même critiquable et le mot est faible (elle raconte des choses absolument abominables et qui font froid dans le dos) ; à l’opposé, le père fait figure de véritable héros, toujours prêt à intervenir et à arranger les choses sur un simple appel de sa fille.
La seule chose que l’on pourrait lui reprocher finalement, à ce père, c’est d’extrêmement mal choisir ses compagnes : souvent, le roman tombe presque dans le conte de fées rempli de méchantes marâtres, et d’ailleurs, Louise/Justine parle de leur « règne » pour désigner l’époque à laquelle elles ont été dans la vie de son père.
Bref, une enfance pas très équilibrée, et on comprend d’une part que Louise/Justine soit aussi névrosée, et d’autre part qu’elle veuille tout faire pour protéger ses enfants.
Cela aurait pu être pénible voire insupportable : Justine Lévy me semble être le genre de femme que je fuis comme la peste normalement, car elles ne parlent que de leurs enfants ou presque ; c’est aussi quelqu’un qui doit être totalement épuisant à aimer. Mais elle apparaît aussi riche et attendrissante !
Un très joli roman donc, léger et profond, lumineux, une belle leçon de vie, que je conseille de tout mon cœur et en particulier aux grandes angoissées comme moi, qui s’y reconnaîtront sans doute !
La Gaieté (lien affilié)
Justine LEVY
Stock, 201523









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